Ça y est: sur mon gâteau d’anniversaire, cette année,
trente petites chandelles vont se bousculer... Ou peut-être seulement
trois, par souci d’économie.
Le résultat demeure
le même; je passe dans le camp des adultes responsables (tu parles
d’une expression de merde!), en mettant le cap droit devant sur une vie
à aborder comme une nouvelle donne au poker: avec une féroce
envie de remporter la prochaine main, mais avec cette trouille viscérale
d’y perdre toutes mes billes.
Optimistes imperméables
au passage du temps, déterministes convaincus chez qui la notion
de vieillissement n’éveille ni inquiétude, ni colère,
soyez francs: le passage à la trentaine, passé, en cours
ou à venir, éveille d’intimes inquiétudes... ne serait-ce
que le temps de souffler les bougies.
Préoccupations au féminin
L’horloge biologique est en
route depuis belle lurette, mais son tic-tac devient soudain plus strident
lorsque la trentaine se profile. Gonzesses qui n’avez pas encore pondu
votre marmot, vous savez certainement de quoi je parle; lorsque vos copines
s’enorgueillissent des premiers pas de leur progéniture, vous vous
interrogez incognito sur la fraîcheur de vos ovules... Ils se raréfient
autant qu’ils perdent en qualité, chaque année qui s’écoule
vous rapproche inexorablement de l’amniocentèse et des procédures
de prévention anti-trisomie 18 ou 21 (la routine, vous rassure le
gynéco-obstétricien) destinées seulement aux futures
mamans version «fruit mûr».
Côté boulot,
c’est parfois la débâcle. Votre carriérisme en prend
pour son rhume lorsque vous constatez, chiffres à l’appui, que votre
entreprise, bâtie à la sueur de votre jeune front quelques
années plus tôt, grève vos temps libres plus qu’elle
ne vous en rapporte, en dépit de l’énorme sentiment d’accomplissement
professionnel qu’elle vous a procuré dans vos heures glorieuses
de démarrage...
Et si le prince charmant n’est
ni dans votre lit ni encore dans vos plans, vous vous interrogez sur votre
avenir affectif avec soudain plus d’acuité. La drague effrénée
en boîte a son charme, le cocooning pantouflard en duo au coin du
feu aussi... Et puis merde, va-t-il encore falloir vous raconter, en pointillés
et pour la millième fois, un autre type de passage rencontré
dans un bar un soir de bamboula (ou de déprime secrète, noyée
à la vodka-orange)? Et puis, votre «beauté intérieure»
vous fait bien marrer maintenant que votre physique, même bien armé
contre les ravages du temps, accuse quelques imperfections autrefois inexistantes
dans vos préoccupations... Vos scéances de taï-bo intenses
vont-elles suffire à juguler cette cellulite naissante que le port
annuel du bikini vous révèle chaque été plus
visiblement? Et vos nichons, vont-ils encore longtemps défier fièrement
cette foutue loi de la gravitation? Votre budget cosmétique va-t-il
devoir accuser une inflation notoire?
Préoccupations au masculin
Ce pneu autour de votre taille
n’est qu’une broutille. À la puberté, vous étiez squelettique,
aujourd’hui, une bouée de sauvetage s’offre à vous... Arrêtez
de broncher hypocritement, car votre nana, vous le savez mais n’en dites
rien, adore ces poignées d’amour... en autant, bien sûr, qu’elles
soient de dimensions raisonnables.
Mecs, vous arrivez en plusieurs
formats. Si vous êtes du type jeune cravaté et jouez au golf
avec clients et patron (sport et lèche combinés!), votre
souci s’oriente vers l’avenir: à quand la promotion et le bonus
annuel substantiel, de quelle couleur la Testarrossa à la retraite,
va-t-il faire chaud en Jamaïque, cet hiver? C’est donc votre futur
immédiat (et matérialiste) qui vous émeut en apparence,
vous en discutez humblement (pfff...) à l’apéro... Pourtant,
dans les tiroirs à double fond de vos méninges, d’autres
préoccupations se dessinent; devriez-vous contracter une double
hypothèque sur votre maison de ville afin de fonder votre propre
entreprise, et ainsi concurrencer directement ceux qui, depuis des années,
vous font confiance (et ponctionnent vos fabuleuses idées), ou serait-il
plus opportun d’envisager un total revirement de carrière, parce
que derrière vos airs de professionnel ambitieux engoncé
bêtement dans son costume Armani, se cache un artiste brimé?
Votre douce moitié,
qui se décatit un peu plus à chaque rencontre mondaine, vaut-elle
encore le coup d’être entretenue, ou la petite serveuse grunge qui
tortille sa fraîcheur sous votre nez à chaque cinq-à-sept
offre-t-elle suffisamment de mystère érotique (dont vous
manquez atrocement) pour que vous larguiez illico votre grognace embourgeoisée?
Et une aventure sans lendemain, simplement destinée à vérifier
votre virilité déclinante, ça ne vous a jamais traversé
l’esprit?
Et vous, jeunes hommes pas
cravatés du tout, encore à la recherche d’un itinéraire
professionnel, amoureux, personnel, social ou philosophique, ne me dites
pas que la trentaine vous laisse totalement de glace: à l’apogée
de vos forces, alors que les années d’errance existentielle semblent
choses du passé, disposez-vous d’un portrait clair de vos réalisations?
Sont-elles satisfaisantes? Le meilleur est-il passé, ou à
venir?
À bien y réfléchir,
trois bougies seront suffisantes sur mon gâteau d’anniversaire: trente,
c’est trop, je risque de manquer de souffle. C’est promis: à trente
ans, j’arrête la clope.
Kalypso
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