TEMPÊTES ET AVENTURES NAUTIQUES
par Pablo Escapar
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  Nous avons l’immense regret d’annoncer, chères lectrices, chers lecteurs, la disparition mystérieuse et inénarrable de notre hardi collaborateur Seb Patry, durant une expédition en Antarctique... Les derniers témoins l’auraient aperçu, en train de surnager, parmi les ours polaires, le long de la banquise, au large de l’Île de la Reine-Marie... Les recherches, menées depuis le chalutier Jesús de la Soledad par l’ex-commandant Pablo Escapar, renégat mexicain en cavale, ont simplement permi de retrouver quelques ossements longuement mastiqués par les pingouins. Pourtant, le rapport préliminaire du laboratoire d’autopsies de Santiago (Chili) n’est point concluant quant au propriétaire (présumé) de ces vestiges humains. David Pêle-Mêle et Junior se sont rendus à Trinidad et Tobago pour y attendre le chalutier funeste. Pablo Escapar était chargé le leur remettre le certificat de décès, et il en a profité pour demander sournoisement asile politique à Ma Commune Légère. Sur le moment, David Pêle-Mêle, en larmes, et qui s’était soulé avec du rhum local, a accepté sans discuter... et Escapar avait tout enregistré sur bande audio, faisant en sorte qu’il n’y ait plus de dédit possible devant le tribunal de l’Amirauté, lequel juge toutes les causes relatives à la haute mer ou à pas loin d’où il y a de l’eau, sauf le Lac des Castors. Aussitôt l’ex-commandant Escapar a enrôlé son Second officier, Vicente Lassombras, aussi appelé Vincent. Ensemble, ils ont volé un catamaran (usagé), coulé leur ancien chalutier (encore plus usagé), et ils sont reparti en vadrouille pour notre compte... Précipité, hein? C’est comme ça que ça se passe chez les pirates.

   Voici donc le premier volet des mésaventures de notre new compagnero Pablo Escapar, qui fait route entre l’Égypte puis la mer Adriatique sur son catamaran-déglingue qui n’est pas sans rappeler le vaisseau de l’ami Han Solo, avec ses ratés, ses pannes subites, et ses baisses de courant, et ses autres menus problèmes quotidiens. Alors si vous avez aimé les chroniques de voyage publiées précédemment sur ce site, et où l’on voyait Seb-le-Robin-des-mers-du-Sud louvoyer hardiment entre les bancs de coraux puis les superpétroliers de la mer Rouge, vous ne voudrez point manquer les compte-rendus rocambolesques de Pablo, qui rame ce mois-ci jusqu’en Italie, pour mener à terme un voyage avorté au cours duquel, comme le disait si bien Seb, un homme pourrait « admirer tout l’éventail de la Féminité, des femmes-soldats érythréennes jusqu’aux monokinis italiens, en passant par le tchador des Soudanaises ». Ça nous ouvre l’appétit!
 


Une tempête

    Avant toute chose, mentionnons que la navigation en « mer Med » est, à mon sens, beaucoup moins exotique qu’en mer Rouge. Bien sûr, les paysages sont époustouflants, et le littoral pratiquement jonché d’Histoire plusieurs fois millénaire, mais cela ne réussit pas à endiguer la laideur chronique qu’apportent à ces décors une immense quantité de bateaux de plaisance... En moyenne, il y a, en mer Rouge, un grand total de deux cents voiliers par année, entre Djibouti et Suez; ici par contre, les voiliers sont légion, et l’on ne pourrait même plus les dénombrer... C’est pourquoi, afin de demeurer pertinent, ce récit de voyage s’attardera uniquement sur les moments « chauds » du périple.

   D’abord, la traversée depuis Port-Saïd jusqu’à la Crète était bien entamée, lorsqu’une tempête avec des vents du nord-ouest de vingt noeuds nous tomba dessus presque à bras raccourci. Nous étions, alors, à moins de cinquante milles nautiques des côtes australes de la Crète. Sur une mer aussi déchaînée, impossible de progresser le moindrement. Nous éteignîmes les moteurs pour se laisser aller à la dérive. Plus de quarante-huit heures passèrent, et nous avions régressé de trente milles, vers l’Est. Le vent, capricieux ce jour-là, décida alors de tourner, plein Ouest, sans raison aucune... Nous mîmes les voiles afin d’essayer de « tirer des bords » (tracking en anglais). Avec des vents aussi puissants, avec la grand-voile et le foc hissés hauts, notre catamaran atteignait la vitesse de sept noeuds dans une mer houleuse à souhait: il nous fallut demeurer dans le cockpit pour surveiller le tout: vitesse, état de voile, et vent. Le principal danger était que la proue ne s’enfonce dans une vague monstrueuse et ne fasse culbuter le voilier, tête première. Après plusieurs heures à ce rythme effréné, je descendis dans ma chambre, mais constatai que cent litres d’eau salée environ s’étaient infiltrés dans la coque... Même problème de l’autre côté du voilier. Évidemment la pompe électrique était brisée et notre unique solution étaient les éponges et le seau! L’explication de ce problème était fort simple: le catamaran avait déjà eu de par le passé maints « échouages » sur des bancs de coraux (voir Suakin, au Soudan, dans Le Récit de la mer Rouge); l’intégrité de la structure était d’ores et déjà partiellement compromise... Et lorsqu’on navigue à pleine vitesse sur une mer démontée, chaque vague cogne solidement sur la coque, puis, à la longue, toutes les petites fissures se rouvrent et laissent pénétrer l’eau. Bref, avec tous ces problèmes, nous mîmes le cap sur la Turquie avec un vent favorable, déployâmes le « spinacker », et en deux jours nous fûmes dans la rade de Fethiye.

Deux tempêtes

    Notre seconde tempête fut beaucoup plus surprenante. C’était entre Naxos puis le fameux détroit de Korinthos (Corinthe). Nous avions un vent dans le dos, et voguions sous deux voiles. Le mauvais temps a surgi comme le diablotin d’une boîte de farces et attrapes, et avant même qu’on eut le temps de réagir, des vents dépassaient les trente noeuds et le voilier s’emballait à un rythme fou. Notons au passage qu’il manque à notre cher petit catamaran près d’un mètre d’extension au gouvernail, sous l’eau, or à grande vitesse, donc, il est trop court, et ne réagit plus! Nous entrions, à ce moment, dans un golfe où récifs et écueils abondaient; en n’ayant pas le moindre contrôle sur la trajectoire du voilier, cela était effarant. Nous parvînmes tout de même à retourner manuellement le catamaran nez au vent pour abaisser la grand-voile avant qu’elle ne soit en lambeaux. Une manoeuvre similaire pour abaisser le foc, s’avéra catastrophique. Par la faute d’une tension opérée par les bourrasques, les mécanismes sont restés bloqués et je n’arrivais pas à abaisser le foc. Le capitaine lâcha alors les commandes, afin de venir me rejoindre, sur le pont avant, pour m’aider, et ce, entre deux vagues qui s’écrasaient sur nous, et qui menaçaient de nous envoyer par-dessus bord... Nous tirâmes à deux, sans succès. Nous foncions directement sur les rochers... Le capitaine est retourné à la barre. Je suis resté seul sur le pont, couché par terre, agrippé, de toutes mes forces, aux filins... Le foc était maintenant libre de toutes ses amarres, et il fouettait l’air, à toute vitesse, emportant cordages et poulies dans son va-et-vient meurtrier, de plus de soixante-dix kilomètres à l’heure... Dans ces instants terrifiants, je me sentais tel un petit Hobbit face à un Troll géant! J’ai réussi à démêler un peu ce bordel, sans y laisser mes doigts sectionnés, et nous avons finalement retendu le foc, au risque qu’il ne se déchirât dans ce vent violent. Cette opération aura probablement duré moins de cinq minutes, mais, pour moi, cela parût une éternité. Nous constatâmes, d’ailleurs, par la suite, que les poulies qui fouettaient sporadiquement le pont avaient fracassé deux hublots, à tribord (des vitres de plusieurs centimètres d’épaisseur). Je crois que c’est à cet instant précis que je réalisai à quel point le danger que je venais de braver, avait été grand: un seul de ces « coups de poulie » sur mon pauvre crâne (qui n’a pas, lui, plusieurs centimètres d’épaisseur, sachez-le), et celui-ci se fendait assurément, comme une pastèque, et tout son contenu et moi-même aurions été emportés par la prochaine vague, jusque dans les bras profonds de Poséidon.

   Le lendemain de cette nuit blanche mémorable et cauchemardesque, nous passions au large d’Athènes. Nous n’avions plus que trente milles nautiques à tirer avant le canal de Corinthe, lorsque, tout à coup, eh oui, un AUTRE vent fou se leva... Cette fois, nous l’avions en plein nez! Notre progression en fut réduite à moins d’un noeud à l’heure. Au petit matin, le lendemain, il ne nous restait (enfin) que cinq milles à faire... mais les fils métalliques du gouvernail lâchèrent! Cette fois, impossible de diriger le catamaran: seule notre grand-voile, parallèle au vent, nous permettait de garder, plus ou moins, le cap. Nous passâmes alors plus de deux longues heures à rafistoler sommairement cette merde de gouvernail, pour venir finalement s’ancrer, ensuite, devant Isma, pour récupérer un peu (même beaucoup) de sommeil en retard. Bref, mon arrivée sur le continent européen ne se fit absolument pas en douceur comme je l’avais d’abord imaginé.
 


En Dalmatie

    Nous arrivâmes sans encombres à Vera Luka, le petit port d’une île de la Dalmatie, et j’espérais que l’Adriatique soit dorénavant un peu plus calme. Depuis Otranto j’avais dû, en effet, vider plus de cinq cents litres d’eau de mer, à cause de ces fuites dans la coque du Catamamerde. La veille, au large de l’Italie, une corvette rapide des gardes-côte ritals avait failli nous emboutir (ces Italiens, ce sont des dangers publics... autant sur terre que sur mer). Mes quarts de garde s’avéraient de plus en plus périlleux, la nuit, avec toute cette circulation maritime et le risque omniprésent d’êtres percutés. J’avais vraiment hâte de prendre une douche chaude avec de l’eau douce, puis de dormir dans un endroit sec! Nous devions demeurer ici, à tout le moins deux jours, afin de laisser ce mauvais temps passer, pour reprendre la mer, en direction de Pula (en Croatie), derniere escale avant Trieste, ou, plus précisément, Montfalcone... J’avais grand-hâte de me dévorer une grosse gelatto puis de boire trois millions de machiatos, en lorgnant les Italienne, ces reines de l’élégance, déambuler dans les rues. En outre, j’aurais sans doute encore un peu de temps pour faire des plongées sous-marines à la recherche des épaves vénitiennes et des sirènes de l’Adriatique, qui m’attendent, quelque part, dans les profondeurs marines.
 


À Pula

   Première journée en Croatie après deux jours de mauvais temps en mer, et les nerfs à vif. Mon alcoolique de capitaine avait décidé de se dynamiter la tronche avec les liqueurs locales, et il était hors de contrôle. À terre habituellement, lors d’escales, il ne consomme que de la bière (un vrai bon Bavarois, quoi), mais pas cette fois-ci... Il devînt cramoisi. Boursouflé. À l’effigie de l’une de ces tomates italiennes. Et il tentait de communiquer avec les pauvres Croates effarouchés, avec autant de succès que moi, lorsque je tente de causer finlandais! Tellement bourré qu’il faisait peur aux mômes, sur la rue. J’avais honte au point de marcher une bonne vingtaine de mètres devant lui, tout en prétendant ne point le connaître et ne pas du tout savoir qui il était.

    À part cela, notre voilier nécessitait de plus en plus de soins; même dans un mouillage calme, il prenait l’eau comme pas un! Ma cabine la nuit était un charmant petit ruisseau, et mon lit était une grande éponge humide: un lit d’eau, au sens propre du terme. Quel luxe! Je m’ennuyais ferme de la mer Rouge, et de son climat sec. Mes os commençaient à geindre sérieusement de ce trop-plein d’humidité... Par contre, et fort heureusement, je n’avais plus honte du catamaran, comme auparavant. Ici, les flottes de voiliers sont toujours impeccables, super modernes, et bien entretenues. Lorsque nous entrions dans un nouveau port, les Brits sortaient de leurs cabines climatisées, pour dévisager notre épave flottante, avec son dinghy à moitié dégonflé, son foc déchiré, ses flotteurs envahis de coquillages, puis d’algues vertes. L’on faisait vraiment figure de terroristes. Les autres embarcations s’écartaient de notre chemin afin de nous céder le passage! Car ils avaient un peu peur de nous. Tous craignaient d’être, brusquement, victimes d’abordage, ou pire encore! En mer Med, la majeure partie des voiliers sert uniquement en été, et ces marins du dimanche, ayant parcouru vingt minuscules milles nautiques par semaine, s’arrêtent dans une énorme marina « quatre étoiles » afin de se « reposer » d’un GROS voyage. Pour les choquer, puisqu’ils le méritaient amplement, moi, je sortais, tout frais et dispos, le matin, faire pipi au bout du pont avant, rien que pour voir la figure des madames british avant qu’elles ne fuient à toutes jambes vers leurs cabines immaculées, en abandonnant sur place leurs jolies tasses de thé congoon et leurs biscuits secs du traditionnel English Breakfast. Ha! ha!

   Dorénavant, vous pouvez m’appeler el Navigatore del Adriatico!
 
 
 

Pablo Escapar 
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