Toujours
luttant pour la liberté, et surtout la liberté du gueuler
en paix, le Rasta ne fut pas tendre avec ses tortionnaires ticos. Il s'est
mis un soir à répéter inlassablement "Jala Papa Live!",
et ce à tue-tête, et il a continué ce manège
jusqu'à ce que l'homme masqué qui gardait le trou devînt
fou à lier et se jetât en bas d'une falaise. Nous avons aussi
obtenu, par le biais des rebelles chiapas, quelques extraits du Journal
que gravait le Rastaquouère avec ses ongles d'orteils dans de l'écorce
de thuya mâchée. Il écrit: "10
mai déjà. Plus de clopes." - "16 mai. Le grand Grigorito
m'a refoutu un coup de botte dans la gueule et m' éteint son cigare
sur l'épaule." - "19 mai. Ça me pique sous le genou
droit." - "20 mai. Beeurps!" Et ça se poursuit. C'est
le témoignage poignant d'un homme qui refuse d'être brisé
psychologiquement et qui nous donne à tous une leçon de courage.
Il fait même des push-ups avec sa langue afin de se garder en forme.
Ses bourreaux commencent à le respecter, comme pour Rambo prisonnier
des Viêts. Seb et Junior ont fait ouvrir un trust international "pour
la Sauvegarde du Rastaquouère", et tous sont incités à
donner aussi généreusement que l'ont fait quelques célébrités
comme Mox Banana, George Clooney, Pamela Lee Anderson, Batman, Brigitte
Bardot et le Prédateur, Michael J. Fox, Bernard The Rhum,
Luc Besson, Jerry Seinfeld, Jerry Springer, le grand Antonio, Geraldo,
le petit Baba, Raulìn Rodriguez, Alanis Morrissette, Julie Snyder,
Julio Iglesias, Siddhartha, Jean-Paul II... sans oublier l'illustre, célèbre,
munificent, grandiose, Serge Laprade.
Heureusement, le
temps étant l'allié inséparable de tous les miséreux,
il commençait à y avoir des cultures fromagères entre
les orteils noueux du pauvre prisonnier (qui en a six de chaque côté
parce que sa maman avait consommé de la mescaline), et il avait
encore assez de force pour appeler ses geôliers et leur proposer
cet inattendu mets issu de la Catégorie Lait Et Produits Laitiers;
n'oublions pas que le fromage, au Mexique, ça ne court pas les rues...
A bien y penser, pour le peu qu'il y en a, oui, ça court les rues.
Beurk! Le Rastaquouère amadoua donc le gros Gonzales et le petit
Villa avec le produit et les deux bougres acceptèrent de lui troquer
trois meules contre une authentique peau de grand singe anthropoïde
communément appelé "gorille" et provenant d'une foire illégale
de Yaoundé.
Photo
gracieuseté de National Geographic Society
Le
Rastaquouère nous montre ici la peau de gorille qui lui allait comme
un gant.
Vêtu de cette
relique poilue, ressemblant presque à Pavarotti, notre héros
s'évada de sa prison très-monstrueusement exiguë par
une nuit sans lune qui tombait justement le soir de la fête nationale.
Inutile de dire que, ce soir-là, le Mexique était saoul comme
la Pologne, et que le gorille (prêtez un peu attention, là!)
s'évada sans coup férir, comme un gros King (Kong). Il erra,
se dégourdit les pattes (vous ne savez pas ce que c'est que d'être
dans un trou d'un pied et demi en forme de fer à cheval de quatre
pieds de longueur durant cinq semaines), chercha des bananes, de l'eau,
une femelle, un héros de la jungle quelconque, une mission jésuite,
le sous-commandante Marcos, ou un bal masqué, enfin, bref, n'importe
quoi. Il était à ce point désespéré.
Mais il ne trouva rien. Il était dorénavant capable de marcher
sur la langue à force d'avoir fait tellement de push-ups avec icelle
durant sa captivité. Mais il ne marcha pas sur la langue avant d'arriver
en Colombie, parce que le sol mexicain, guatémaltèque, costa-ricain
et panaméen est salement poussiéreux et sec, tandis que la
belle jungle verdoyante et pluviale de la Colombie laissait, sur ses papilles
motrices, un goût alléchant de feuille de palme et d'huile
de mangue rôtie.
Les gens, en Colombie,
nous le savons, sont tous dans un état second: tout comme à
Manhattan, ils ne voyaient absolument rien d'incongru dans le fait de croiser
un gorille marchant sur la langue - même lorsque le primate en question
leur demande l'heure en un anglais impeccable, ou quand il leur quémande
une bouffée de cigarette de pâte de coca. Une "tica" colombienne,
confondant l'ingénieux déguisement avec Pavarotti lui-même,
se prit d'engouement pour la bête et commença à la
poursuivre amoureusement en criant: "Jala Papa Live!"
Lorsqu'il désirait
subvenir à son besoin de nourriture, le Rastagorille n'avait qu'à
faire irruption sur la place du Marché ou dans un supermarché
local en hurlant et en se frappant la poitrine de ses deux poing en cadence,
et tout le monde s'enfuyait automatiquement, pris d'une panique digne des
meilleurs films hollywoodiens (Godzilla). "Rhhhhhââââââârrgh!"
dit-il. Et il fit main basse sur un sac de tomate de Sicile et sur un régime
de bananes qu'il allait regretter d'avoir boulotté parce qu'il l'a
roté durant quatorze jours et treize nuits en fuyant dans les rues
bigarrées. Chaque fois qu'il terminait une banane, il jetait la
pelure non pas derrière lui (parce que tout ce qu'il avait volé
encombrait ses épaules) mais plutôt devant lui, et 87.12%
du temps, il GLISSAIT et dégringolait durant sept pâtés
de maison - car les rues sont en pente en Colombie.
Photo
gracieuseté de Animal Hebdo Inc.
"Gare
au gorille" -Georges Brassens.
L'apothéose
de cette équipée sauvage eut lieu lorsque le Rastagorille
déboula une ruelle sinueuse de sept cent mètres de longueur
et qu'il trouva à la ligne d'arrivée les juges du Guinness
Book of Records, euphoriques, qui lui annoncèrent qu'il venait
de fracasser le record de la "bèche" la plus longue qui était
détenu au préalable par le père de Pêle-Mêle
qui avait déboulé les escaliers chez Harvey's... La chute
avait par ailleurs été si longue que le gorille avait traversé
d'un seul coup (comme un seul gorille) trois fuseaux horaires, et, ne nous
demandez pas trop pourquoi, il était maintenant en Égypte.
Junior
MacO'mmune
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