Sur
la voie publique, une faune d’hurluberlus de tout acabit se balade. Ils
sont de toutes les nationalités, de tous les âges, de tous
les sexes. Piétons, cyclistes, amoureux des roues alignées
aux giboles musclées et skate-borders en mal de se prendre dans
le buffet un véhicule de plein fouet, ils se déplacent souvent
avec insouciance, rageant parfois avec véhémence contre ces
satanés automobilistes qui, décidément, se croient
tout permis.
Cette petite guérilla intestine
n’est cependant que la pointe de l’iceberg: la belligérance la plus
saignante, le conflit le plus incendiaire, se déroule ailleurs,
au milieu de ces conducteurs chaussés de quatre à dix-huit
roues.
Constat peu aimable... et recommandations
mordantes.
Les vieillards
Constat
Les ancêtres hantent les tronçons
routiers. Leur cécité latente et leurs réflexes amoindris
leur font faire des bévues terribles qui, quoi qu’on en dise, mettent
la vie des autres usagers de la route en danger. Trop vite, c’est comme
pas assez.
C’est simple: lorsque je suis (de pas trop
près) un petit vieux sur la route, je commence une session d’hyperventilation.
Automatiquement, et pour me préserver d’un énervement somme
toute inutile, je passe en mode Patience... et Prudence. Car avec les vieux,
il s’agit surtout d’anticiper. Quand le clignotant signale la gauche, ils
tournent à droite. Classique.
Leur rythme d’escargot renseigne souvent
sur cette intention qui occupe le quart de leur journée: se trouver
une place de stationnement. Sur une route à deux voies, le problème
ne se pose pas; hop, je bifurque dans la voie parallèle, adieu,
le fossile! Bonne chance à ceux qui suivent, derrière, et
manquent de défoncer leur pare-choc avant sur un freinage aussi
brusque qu’inattendu: Papy, enfin, vient de se trouver un morceau de bitume
où garer son imposant corbillard, on ne va pas la lui «piquer,
cette place-là, merde!» Je le perds dans mon rétroviseur
avant qu’il n’ait débuté sa manoeuvre.
Rouler sur la ligne médiane, et,
ainsi, frôler dangeureusement un véhicule mitoyen sur une
voie double, c’est un must pour le vieux. La chaussée est ainsi
plus large, plus confortable; et puis, de toute façon, la ligne
(continue ou pointillée, jaune ou blanche), c’est à peine
s’ils la devinent, même si, le nez enfoncé dans le tableau
de bord, ils sont manifestement attentifs. La chaussée, volontairement
bariolée d’une multitude de signes servant directement à
la circulation, non, c’est pas pour les vieux. Rien à foutre. Eux,
ils roulent. Devant, derrière, et surtout dans l’angle mort, rien
n’existe. Les vieux, du fond de leurs années d’existence, sont,
sur la route, d’éternels solitaires.
Leur entourage familial leur serine souvent
qu’ils devraient envisager de se retirer de la circulation routière…
Pas question! Ils l’ont conquise chèrement, leur indépendance,
et ils entendent bien la conserver jusqu’à la mise en bière.
Ça peut être hargneux, un vieux qui s’assume complètement.
Ça retourne à son égocentrisme infantile sans souci
d’autrui.
Recommandation: Petits vieux exécrables,
considérez la chaise roulante. Avec ses quatre roues, elle constitue
une alternative fort intéressante pour vos déplacements…
et neutralise en toute sécurité votre sénilité
naissante.
Les p’tits jeunes
Système de son explosant les vitres
teintées de leur bolide modifié, ils passent d’un feu rouge
à l’autre sans souci de logique: les feux synchronisés à
50 Km/h, non, franchement, connaît pas. Ils faut user du disque (de
frein) et laisser de la gomme (de pneu) sur l’asphalte. Pour finalement
progresser à la même allure que les autres. C’est une démarche
jeune, hip-hop, et tendance. Et ça émoustille vachement les
gonzesses entassées derrière, futur harem du Don Juan au
visage perclus d’acné.
Leurs réflexes aiguisés leur
permettent de littéralement voler sur les autoroutes, objets roulants
non identifiés, et de glisser d’une voie à l’autre en frôlant
les autres véhicules. Plus ils passent près, plus c’est marrant.
Qu’est-ce qu’on rigole, quand ils manquent leur coup!
Catastrophes statistiques côté
accidents, les p’tits jeunes font grimper les prix des permis et des assurances,
applicables à tous. Ils emboutissent impunément des véhicules
de valeur, parce que le fric n’est pas encore devenu pour eux une préoccupation
majeure.
Les p’tits jeunes pourris d’insouciance
ne témoignent guère d’une vision périphérique
d’ensemble: en voiture, ce qui leur importe le plus, c’est la frime, sous
toutes ses formes, et les sursauts d’adrénaline quand la vitesse
augmente dangereusement en volatilisant les aiguilles du tachymètre
(brûler une transmission, c’est cool: c’est bien connu). Sur la route,
ce sont des éléphants grotesques lancés sans retenue
dans un magasin de porcelaine.
Recommandation: P’tits jeunes qui bousillez
régulièrement vos vies autour des poteaux de téléphone,
muselez vos hormones débordantes: elles alourdissent insidieusement
le pied-champignon... Tournez-vous plutôt vers la simulation F1 sur
console de jeu, peinards dans vos sous-sols.
Vous qui vivez vos années teenage
temporairement troublées dans une défonce permanente, n’abrégez
donc pas prématurément vos existences avant d’avoir pu dire:
la vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la vie.
Les chauffeurs de taxis
Constat
Ont-ils vraiment une excuse valable pour
être tous (en majorité, mettons) si cons?
Malotrus et peu courtois, ils se comportent
comme les propriétaires ultimes des voies publiques. Le clignotant
leur est inconnu. À ce chapitre et pour leur défense (la
seule que je leur concède), ils ne sont cependant pas les seuls.
Du haut de leur ordurière arrogance
au volant, les chauffeurs de taxis capitalisent sur le client, qu’ils servent
obséquieusement, pourvu que le pourboire suive. Quant aux autres
usagers de la route, libre à eux de composer avec leurs stops approximatifs,
leurs déboîtements soudains, leur insistance insolente pour
se glisser dans une voie encombrée, leurs arrêts brusques
quand la main du client-roi hèle le taxi-chien-chien et leurs poussées
d’urticaire quand, fatiguée de leur bêtise, une bagnole véloce
les prend à leur propre jeu. Dans ma petite Golf, personnellement,
je me fais un plaisir de participer à cet embargo tacite.
Recommandation: Chauffeurs de taxi, ravalez
donc votre impertinence routière. Vous ne deviendrez jamais des
pilotes professionnels, ni des As du volant, ni même des conducteurs
émérites. Et dites-vous bien qu’à bord de chacun des
véhicules que vous coupez, dépassez en sauvages, ou bousculez
de vos coups de klaxons agressifs, se trouve peut-être un futur client…
dont, ultimement, dépend votre paye.
Les saoulographes
Constat
Les derniers de cette liste, mais non les
moindres, et certainement les plus condamnables, les plus détestables,
et les plus meurtriers. Personnellement, je ne ferais pas sauter leur permis
de conduire indéfiniment: c’est bien plutôt leur caisse que
je ferais sauter, avec eux dedans… Ni plus, ni moins. Ils sont les responsables,
si légèrement punis, de centaines de morts chaque année.
Ils ne me donnent ni envie de rire, ni
envie de déconner.
Recommandation (ou condamnation?): Sur
vous, je déverserais sans scrupules mon fiel le plus corrosif. Mais
je sais que ma haine viscérale pour vous n’empêchera jamais
vos inconduites assassines. En bref, je vous conchis, tous autant que vous
êtes.
D’autres conducteurs pourraient figurer
à ce palmarès. Les camionneurs retors, les parvenus du cellulaire,
que la richesse et l’arrogance étouffent, et les livreurs, pour
qui fluidité du trafic n’a aucune résonnance, pour ne citer
que ceux-là, font partie du nombre. Je les ai dans le collimateur,
mais je préfère les laisser à leur triste sort.
Soyons francs: il est de la conduite automobile
comme du comportement en société. La planète entière
est peuplée de gros cons, la connerie étant « vertu
» universelle. Sur la route ou ailleurs, le mieux, c’est encore de
se tenir loin.
Kalypso
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