LE CONTE EST BON
par Rastaquouère MacO'mmune
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«Rasta… Hum! hum! kire? MacO’mmune! Come on down! You’re the next contestant on The Price Is Right!», telles furent les premières paroles que j’entendis dans ce rêve infernal. Bob Barker, compatissant avec l’annonceur, le pachyderme Rod Roddy, exposa à la foule d’énergumènes en délire qu’il trouvait, lui aussi, très pénible de prononcer mon nom. «Rasta…ker? I’m having a hard time figuring how to pronounce your name, fella! Lets just call you Dick!», conclua-t-il nonchalamment. Débordant de ma transcendante mansuétude, je m’abstins de cravater le goguenard pour cette brimade. Après tout, me dis-je à part moi-même, Dick, c’est le petit sobriquet de mon idole : il n’y a pas de raison pour être courroucé et commencer une bisbille. «Je n’ai pas d’objection à me faire appeler ainsi», rétorquais-je à Bob, dans mon meilleur anglais. Se contrefichant de ma réponse, l’animateur enchaîna rapidement avec la présentation du prochain objet à gagner : «So, Rode, what’s the next item up for bid?» Sans se faire prier, le gros, drapé de soie thaïlandaise et cousu de paillettes, répondit avec exaltation: «A brand new placid goat!» Une chèvre flegmatique toute neuve, tu parles! J’ai assez de problèmes avec Woody, le mouton intellectuel de Pêle-Mêle, pourquoi voudrais-je un autre sac à puces dans mes bureaux; c’est vaudevillesque! Avouez avec moi qu’il est difficile de mettre un prix sur un paquet de problèmes! J’avais beau faire appel aux souvenirs de mon enfance rurale en Nouvelle Calédonie (où il n’y avait que des familles d’immigrés grecs, pourvus d’épouses malcommodes, qui achetaient ces bêtes-là à Pedro, le pauvre petit gardien de chèvre), la réponse ne venait pas à mon esprit. Mon hésitation se transforma en distraction lorsque j’aperçus l’harmonieuse physionomie des quatre plantureuses Barker Beauties qui se tenaient à-côté de l’animal – pour détourner l’attention des hommes (virils, la bave aux lèvres) du véritable cadeau. Il était difficile d’en faire abstraction. Les hamadryades en tenue légère étaient allongées sur un tapis synthétique, sous un arbre en plastique, dans un décor en papier mâché et elles flattaient langoureusement la chèvre flegmatique, tout en prenant bien soin de ne pas lui transpercer la peau avec leurs manucures longues et acérées. Après une minute de tergiversation, et comme tout est réglé au quart de tour dans ce genre d’émission, Bob entreprit de répéter fébrilement: «Come on, Dick! Gimme your bid! C’mon!» À bout de nerf, ne pouvant ménager la chèvre et le chou, je donnai un prix au hasard:  «One dollar, Bob!» Les trois autres participants – sûrement des habitués - étaient moins embêtés que moi, et donnèrent leur prix tout de go! «Dick! You win!» s'étonna Bob! Malgré mon inexpérience, la chance des débutants avait frappé. Ce fut moi qui gagnai la chèvre flegmatique (qui, par l’inexplicable logique onirique du monde des rêves, était brusquement devenue… Daniel Boucher! l’homme à la barbichette!). On me pria donc de monter les marches pour rejoindre Bob sur la scène. Nul besoin de vous dire que j’étais très énervé – non pas de gagner la découverte de l’année à l’ADISQ, mais de devoir déposer le traditionnel petit bec sur la joue râpeuse de Bob, lui-même un peu désarçonné par tant de candide familiarité. L’homme de métier était figé de gêne, comme le chevreuil photoangiophobique dans le halo cylindrique des phares d’une auto. Cependant, il reussi quand même à reprendre du poil de la bête et de poursuivre son animation : «I think that’s the first time a gentleman kisses me… Well… on the show. Whatever, Rod, what we have next for Dick?» Étrangement, Rod avait perdu sa belle voix de baryton, qui fait mouiller toutes les thaïlandaises, et gémissait, tel un castrato: «Hiiiiiiiiii! A frantic shark!» Là, j’étais heureux. Un requin hystérique, wow! Il n’y a rien de mieux pour accroître le rythme de production au bureau. D’ailleurs l’épreuve que je devais réussir pour gagner le requin hystérique m’inspirait déjà une profusion de petites astuces pour stimuler la vivacité de mes pisse-copies. Le jeu était simple et excitant : il s’agissait de lancer une balle au centre d’une cible pour ainsi enclencher l’ingénieux mécanisme faisant basculer un tremplin sur le bout du quel on avait installé Rode Roddy. Le gros constituait, en somme, une bonne grosse boustifaille pour le requin hystérique (car, nul besoin de vous le dire, mes petites panouilles, le plongeoir était judicieusement installé, en porte-à-faux, au-dessus de la piscine dans laquelle nagait le poisson affamé). Je m’attendais quasiment à voir arriver Pierre Marcotte ou Roger Giguère qui avaient inventé ce jeu très populaire, dans le bon vieux temps où les deux larrons animaient Les Tannants, l’émission-culte du Québec, jamais égalée en terme de largeur des auditoires et d’épaisseur intellectuelle. Toutefois, les deux niquedouilles ne firent point une apparition suprise dans cette chimère nocturne. Quand je rêve (aussi étrange que cela puisse paraître), j’ai la subconsciente délicatesse de ne pas mettre en scène certaines godiches de premier ordre.

Malencontreusement, au moment où je m’apprêtais à lancer le projectile sur la mire, un éclair rose me heurta, et votre humble héros se retrouva au Canal Vie à l’émission Les Copines D’abord. À mon grand désappointement, je ne vis aucunement le requin hystérique se faire la dent sur le ventripotent hominidé odontophobique. C’était plutôt moi qui se retrouvais dans une pernicieuse situation, encerclé que j’étais, non pas par un, mais par trois féroces prédateurs. Bien qu’excité sexuellement par la situation, je ne me sentais pas gros dans mes culottes – le Français dirait « avoir les boules ». Heureusement que, par ma perspicacité légendaire, j’avais pensé à emporter la chèvre flegmatique avec moi lors de ma téléportation. Flatter l’animal impavide faisait décroître ma pression artérielle qui, devant ces amazones, était à son comble (169). Je me sentais comme Jean-Marc Parent devant Franco Nuovo; comme lardon en poêle, si vous voyez ce que je veux dire. Cependant, je pouvais me consoler en pensant au bacon que j’allais palper après avoir enduré ces trente pénibles minutes de frétillant radotage. Je n’avais pas ouvert la bouche que Pénélope McQuad tissait déjà sa toile verbale autour de moi, m’apostrophant sévèrement: «Je m’excuse! Je ne mange pas de ce pain-là, Rasta… Heu… j’ai de la misère à prononcer votre nom! Laissez-moi vous appeler la queue!» Je voulus expliquer à la mignonne enfant que, pour le moment,  je ne savais pas de quoi elle parlait, mais la ravissante Isabelle Maréchal me coupa manu militari, comme le veut la coutume à l’émission, pour, elle aussi, m’admonester cavalièrement: «Je ne suis plus capable de supporter le je-m’en-foutisme intrinsèque des hommes! Compris, la queue? Si on est capable d’utiliser son machin; on est capable d’assumer les conséquences de ses actes!» puis, ce fut le tour de la chatoyante Johanne Fontaine de m’éclabousser en me houspillant sauvagement: «Franchement, la queue! Assume-toi! Grrrr…» Après m’être fait réprimander houleusement ainsi pendant près de quinze minutes, le sadique réalisateur décidait d’en finir avec moi, et fît entrer dans studio la copine invitée de la semaine. Comme j’en avais déjà plein les bras, je souhaitais profondément qu’il ne s’agisse pas de Geneviève St-Germain, de loin la plus frénétique des féminismes de l’extrême-droite. Favorablement pour ma santé mentale, ce ne fut pas la louve des SS qui se hâta à la table. Il s’agissait plutôt de mon antédiluvienne conquête amoureuse, nulle autre que Louise Beaudoin. Oui, vous avez bien ourdi! Louise Beaudoin! La suave cynocéphale de mon coeur! Celle-là même avec qui, jadis, savourant candidement l’allégresse de la dépravation, je vécus la passion à son paroxysme. Dès l’entrée de « Loulou » dans l’arène, je compris en définitive le sujet du jour des copines, et, il va sans dire, j’étais très contrarié de ce coup monté. Cela me rappelait toutes les fois où, prétextant une augmentation de salaire, j’avais sournoisement convoqué mes gens dans la salle commune, pour, surprise, leur offrir une déliquescence en règle, devant les macaques rhésus en liesse. Quoi! Vous me trouvez méchant? Vous êtes plus catholiques que le Pape, chers lecteurs! Sachez, mes petits dévots, qu’il faut bien que mes singes se récréent de temps à autre! En plus, je fais d’une pierre deux coups: outre l’amusement qu’ils procurent aux primates, ces délictueuses bastons verbales me permettent de maintenir à flot la déférence de mes employés envers l’autorité suprême de Ma Commune Légère (moi). Certains jours, à bout de nerf, ils avouent même des crimes qu’ils n’ont pas commis (tel ce bon vieux Grizzly Adams) – comme quoi il vaut mieux prévenir que guérir! Ma sémillante (et simiesque) petite ministre avait donc mandaté ses camarades dans le but de me confronter à mon manque de délicatesse. Il faut mentionner qu’à la fin de cette période bénie, surnommé « le temps des cerises », cette carence qui m’afflige avait plongé Loulou dans les bas-fonds de la déchéance humaine. Ce n’est pas par insuffisance de volonté, mais bien par étourderie, que, le jour de notre rupture, j’avais oublié de baisser le siège du cabinet d’aisance après m’être soulagé. Ce fut, vraisemblablement, la goutte qui fit déborder le vase, et nos accointances charnelles prirent fin (peu avant le Beaudoingate proprement dit). Quand vous en serez au temps des cerises / Si vous avez peur des chagrins d'amour / Évitez les belles / Moi qui ne crains pas les peines cruelles / Je ne vivrai pas sans souffrir un jour / Quand vous en serez au temps des cerises / Vous aurez aussi des chagrins d'amour… Snif! Snif! Excusez-moi, je deviens nostalgique, tout à coup... Quoi qu’il en soit, revenons-en à mon rêve, bande de neurasthéniques dégénérés! Nonobstant l’animosité ambiante sur le plateau, je réussis à maîtriser l’assistance, en alléguant, pour ma défense, n’être point le Belliqueux Rastaquouère, mais uniquement Pedro, le pauvre petit gardien de chèvres flegmatiques victime d’une épouvantable machination satanique. Comme je l’avais exhorté, le capharnaüm cessa une fois cette escobarderie lancée. C’est les larmes aux yeux que mes coriaces interlocutrices, inopinément moins pies que pieuses, s’excusèrent, consternées du malentendu et débordantes d’une inaccoutumière miséricorde. Après un long mea culpa, les copines délaissèrent leur prévenance à mon égard afin de l’orienter sur cette piteuse chèvre flegmatique. La bête sollicitait d’autant plus la pitié qu’elle s’était mise à chanter laborieusement. Émues par sa voix chevrotante, les naïades se mirent à flatter langoureusement la chèvre flegmatique, tout en prenant bien soin de ne pas lui transpercer la peau avec leurs manucures longues et acérées. Je profitai de leur distraction pour quitter le studio en douce, non sans avoir, au passage, cueilli mon juteux usufruit (mon cachet). Je me suis aussi arrêté quelques secondes pour jeter un dernier coup d’œil à la photo qu’avait apportée Loulou : j’étais très intrigué par le cliché de ce joli petit chérubin à la barbe mal rasée, fumant le cigare. Le fils de Louise? Impossible! Il me ressemble comme deux gouttes d’eau…

Cette réflexion marqua la fin de ce rêve mouvementé, quand, brusquement, je me fis réveiller par mon fils me harcelant hystériquement pour avoir le disque de Daniel Boucher. Me faire réveiller un samedi matin… pour ça! Quel requin, ce Junior! Heureusement que je n’ai qu’un seul flot… si le compte est bon?!… 
 
 

Rastaquouère MacO'mmune 
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