Les
architectes sont souvent sans visage et leurs baraques, fades elles aussi,
leur ressemblent plus souvent qu’autrement. Blasé par un métier
où les clients veulent des plans vites faits («je veux ça
pour hier...C'est OK pour toi?»), les architectes n’ont souvent guère
le choix que de laisser pour compte l’élaboration d’un vrai langage
du construit, évocateur d’une certaine philosophie, et qui donnerait
la chance de faire évoluer l’ARTchitecture.
Roger
D’Astous
Pendant nombre d’années,
nous eûmes, ici, au Québec, un artiste d’exception qui se
démarqua de ses pairs. Sans compromis, ce magicien du bâtiment
(cet irréductible gaulois) créait des chefs-d’oeuvre à
couper le souffle qui, magiquement, se retrouvaient toujours en parfaite
harmonie avec la nature environnante - tout ça pendant que la majorité
des autres de son espèce se butaient au morne «style international».
Bref, ces maisons vivantes, me font rêver! J’aimerais donc aujourd’hui
vous faire partager l’oeuvre de mon idole, le merveilleux Roger D’Astous,
le père de l'architecture organique nordique.
Résidence
construite à l'Île Cadieux en 1984, et agrandie en 1988.
Premièrement,
je ne veux pas faire de l’objectivité le matériau premier
de mon article et, plutôt que de mettre mon riche vocabulaire architectural
sur la table pour impressionner la galerie, (tel le ferait mon père,
le Rastaquouère), j’aimerais armer mon stylo d’admiration. Que vous
pensiez que j’ai eu la chance de côtoyer de très près
le Maître, serait vous mettre le doigt dans l’oeil. Cependant, j’ai
quand même eu la chance, par l’intermédiaire de mon ami Marco,
son fils légitime, de rencontrer l’homme artiste à quelques
reprises.
Je me souviens surtout
de la première apparition qui eut lieu sur la plage d’une piscine
située derrière la magnifique demeure du Maître, en
lisière du Chemin de la Côte Sainte-Catherine, où il
tenait aussi, au rez-de-chaussée, son bureau. Il venait de plonger
dans l’eau, comme un gros ours ayant le besoin soudain d’une trempette
rafraîchissante suite à une fastidieuse journée d’ouvrage.
Après nous avoir quelque peu éclaboussés, lors de
l’impact de son corps poilu avec l’eau, l’homme à la stature imposante
ressortit de l’eau dans son costume d’Adam et me fut présenté
par son fils, Marc-Olivier, avec lequel je revenais de l’école.
La bonhomie qui émanait de D’Astous - le père - me laissa
pantois, et, croyez-le ou non, je crus remarquer qu’il était doté
d’une auréole, flottant au-dessus de sa tête, comme c’est
le cas pour la pluspart des génies de ce monde.
Parlant de génie,
il faut que vous sachiez, mes amis, que D’Astous eut la chance, suite à
ses études à l’École des Beaux-Arts de Montréal,
entre 1946 et 1952, de partir vers le Wisconsin et l’Arizona, pour s’imprègner
du savoir de l’illustre Frank Lloyd Wright, l’un plus grands des architectes
américains de l’époque! Effectivement, on peut affirmer,
et ce, sans amoindrir son talent, qu’il était allé à
la bonne école. Taliesin, l’école de Wright où D’Astous
a résidé de 1952 à 1953, était un lieu d’apprentissage
rêvé pour un jeune architecte en quête d’une identité
propre. Le rituel artisanal et patriarcal du Fellowship, inhérent
à Taliesin, développait chez les apprentis, outre une rigueur
à l’ouvrage, mais aussi une vraie hygiène de vie. Vraisemblablement,
Wright avait pour adage: «On ne peut pas être, à la
fois, un bon architecte et un humain médiocre». Il imposait
une grande dicipline - quasi militaire - à sa cour, avec des horaires
qui comprenaient, aussi bien, les heures à l’atelier de dessin que
celles liées au fonctionnement de cette vraie petite commune, ou,
comme le décrivait D’Astous, ce kibboutz. Indépendament de
leur position hiérarchique, les «Taliesiniens» devaient,
à tour de rôle, effectuer beaucoup de travaux manuels, tels:
tailler de la pierre dans la carrière, faire la construction des
bâtiments, préparer les repas, faire le jardinage, le ménage,
etc... Même le bras droit de Maître Wright devait se plier
à cet exigeant régime de vie qui avait pour but de développer
l’autodiscipline et le sens des responsabilités.
Wright
et le jeune D'Astous à Taliesin.
Les principes fondamentaux
de l’architecture enseignés à Taliesin par Frank Lloyd Wright
avaient pour essence le respect des matériaux et du lieu. Aujourd’hui,
quand nous regardons l’architecture de Roger D’Astous, nous pouvons définitivement
la qualifier d’organique, puisqu’on y trouve une grande similitude avec
celle de Wright, qui se voulait intègre et naturelle. Cependant,
Maître D’Astous n’a pas calqué son maître. Il est arrivé,
inspiré par la philosophie orientale de Wright, à modeler
son propre style, une architecture originale, adaptée au climat
nordique, que beaucoup désignent maintenant par le terme d’«achitecture
organique nordique».
Voici
l'élégante église Notre-Dame-des-Champs (construite
en
1961 à Repentigny) qui rappelle un calice de fleur.
Cher Roger,
Je me suis souvent
demandé comment aborder le monstre sacré que tu représentais
pour moi. J’aurais aimé que tu m’enseignes un peu de ton imense
savoir, mais j’étais trop timide pour te le faire savoir. Maintenant
que tu nous as quittés, j’aimerais te dire, si tu peux m’entendre,
à quel point j’ai de l’admiration pour toi. Je veux que tu
saches aussi qu’ici-bas, nous ne t’oublierons jamais. Tes bâtiments
seront toujours là pour témoigner, de devant nos yeux mouillés
d’émoi, de ton éternel talent.
Village
Olympique de Montréal, 1976.
Junior
MacO'mmune
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