J'ai envie de fustiger quelqu'un. N'importe qui. Du moment qu'il s'agit
d'une nouille. Bon. Prenons Sylvain Cormier, faute de mieux. J'aime bien
taper sur les journaleux, hé, hé... Alors la dernière
fois que j'ai lu ce journal pour quinquagénaires qu'est La Presse
(malgré leurs campagnes publicitaires ciblant les « jeunes
»,
mais on cible la clientèle que l'on n'a pas: c'est une règle
du marché), c'était au début octobre je crois, et
je suis tombé sur une colonne dans laquelle Cormier donnait son
avis au sujet de Peter Gabriel et de l'album Up. Il dit que dix
ans, c'est trop long. Il dit que cet album aurait pu être fait en
six mois. Et puis, qu'on aurait pu en avoir un autre, d'album. Puis un
autre. Puis un autre. Et puis des spectacles. Puis d'autres spectacles.
En dix ans. Imaginez. Il dit que Peter Gabriel accorde une valeur démesurée
à sa production, en étant si perfectionniste, si pointilleux,
et en remettant cent fois sur le métier son ouvrage. Il dit que
nous y perdons tous au change parce qu'on aurait pu avoir cinq albums de
Gabriel, en dix ans, au lieu d'un seul. Un instant, gros connard. Je vais
t'expliquer des choses puisque ta maman et ton papa ne te les ont jamais
enseignées lorsque tu étais petit... Tout d'abord, le talent
de quelqu'un, ça n'appartient à personne excepté lui...
Personne. Premier point. Si Mozart n'avait pas eu envie de composer
sa Grand-Messe, personne n'aurait pu le forcer à le faire, ni l'État,
ni le Roi, ni le Pape, ni l'U.N.E.S.C.O. Personne. Hermann Hesse, lui,
a décidé de ne rien publier du tout durant les vingt dernières
années de sa vie. Et qui aurait pu le forcer, hein? Nous y perdons
tous au change, dis-tu? C'est parce que tu es un crétin. Si tu n'étais
pas un crétin, bien entendu, tu aurais compris que nous n'y perdons
pas au change, et tu n'aurais même pas écrit cette bêtise,
et je ne serais même pas en train de te servir ce petit traitement.
Je ne m'en prends jamais aux gens intelligents. Je n'ai rien contre eux.
Ils ne me dérangent pas. Mais toi, aïe! Pouah! Ça ne
vole pas très haut au-dessus de la moquette. Tu t'approches d'ailleurs
dangereusement d'une sorte de vision d'extrême-droite, quasi-totalitaire...
Quelqu'un est un bon architecte? Alors, qu'on le force à construire
des maisons! Et pas seulement une par année, non: une par mois!
Que ce talent ne soit pas gâché. Qu'il serve la communauté!
Et quelqu'un d'autre est un bon danseur? Qu'on le force à danser!
Chaque jour. Malade ou pas. Déprimé ou pas. Pour le bon plaisir
de ses concitoyens. Et que ce talent ne soit pas gâché. Heil
Hitler. Ouvre grand tes oreilles monsieur Cormier: lorsque le talent appartiendra
à l'État puis au Patrimoine mondial de l'Humanité,
lorsque ce jour-là arrivera, car oui, il arrivera, puisqu'il y a
sûrement beaucoup de gens dépourvus de talent tels que toi
qui ont véritablement tout avantage à faire en sorte que
les gens talentueux travaillent de force pour le bien de la « communauté
», ce jour-là, je te le dis, tous les artistes se suicideront,
car ça n'est pas dans leur nature, d'être forcés. Voilà.
T'as lu le livre de Huxley? Il n'y a pas d'artistes. Que des gens comme
toi. Un monde terne. Heureusement, le VRAI monde, celui dans lequel nous
vivons encore (mais Dieu sait pour combien de temps), est plus riche et
plus profond que le monde de Huxley. Je connais une jeune fille qui retravaille
le même recueil de poésie depuis 1990. Douze ans. Mais il
n'est pas encore fin prêt. Un épais pragmatique tel que Cormier
vous lancerait: « Eh bien tant pis pour elle, elle ne fera pas d'argent...
» Eh bien, voilà, espèce d'âne émérite
consommé, tu vois bien que lorsque tu t'en donnes un peu la peine,
tu y arrives: c'est ça! c'est exactement cela! ELLE NE VEUT PAS
D'ARGENT. Voilà. Est-ce que ça t'étonne? Elle s'en
fiche. Il n'y a que les gens qui travaillent à La Presse
qui veulent faire de l'argent. J.D. Salinger habite dans une cabane en
bois rond au fin fond du New Hampshire et n'a rien publié depuis
1963. J'aimerais le voir, Sylvain Cormier, avec ses petites bottines de
marche, aller jusqu'à la cabane, frapper à la porte et crier:
« Monsieur Salinger nous y perdons tous au change, publiez quelque
chose, arrêtez de le lécher et de le paufiner, votre roman!
» J'aimerais voir ça. Merde! J'aurais même pas besoin
de retrouver monsieur Cormier afin de lui mettre mon pied au cul: Salinger
s'en serait chargé! Extra!
Second
point: les étiquettes... « Un album de musique pop n'est jamais
qu'un album de musique pop », écrit notre savant journaliste
d'un ton inéluctablement doctoral. Oui. Le problème c'est
qu'avec le nivellement par le bas opéré depuis des années
par les vigoureux « critiques » tels que lui, il n'y a plus
moyen à présent pour une oeuvre, et ce quelle qu'elle soit,
d'être exfiltrée du cachot des étiquettes. Un long-métrage
n'est jamais qu'un long-métrage, qu'il s'agisse de Lawrence of
Arabia ou de Les Boys III. Un tableau n'est jamais qu'un tableau,
qu'il s'agisse de La Joconde, ou de Vomi de lendemain de brosse,
réalisé par un ado intoxiqué lors d'une soirée
de peinture en direct aux Foufounes Électriques en 1989. Un roman
n'est qu'un roman, qu'il s'agisse de La Roue Rouge sur lequel Soljenitsyne
travaille depuis vingt ans, ou du dernier Harlequin. L'opus de Soljenitsyne
et le dernier Harlequin sont sur le même pied d'égalité.
Pourquoi Soljenitsyne a pris vingt ans? On aurait pu avoir vingt romans
aussi bons; un par année. Pourquoi Tolkien a mis quatorze ans à
composer le Seigneur des anneaux? Dire qu'on aurait pu avoir dix
autres trilogies aussi extraordinaires, s'il s'était un peu grouillé
le cul... Alors bon, c'est un combat perdu d'avance, contre des idiots
tels que Sylvain Cormier: car peu importe le temps que Peter Gabriel aurait
pu mettre à l'élaboration de ce qui n'est pas un «
album de musique pop », peu importe le travail, peu importe le temps,
dix ans, quinze ans, vingt ans, trente ans, il demeure que, hélas,
le jour où le résultat sera enfin livré au public,
des gens tels que Cormier diront que ce n'est qu'un album parmi tant d'autres,
ils feront l'écoute du dernier Gabriel le même jour qu'ils
font l'écoute du nouvel album de Lorie, parce qu'ils ont leurs putain
de papiers à remettre le surlendemain... Cormier déteste
les artistes qui ne travaillent pas très rapidement comme Michel
Tremblay. Il veut que ça roule. Il veut des albums pop. Il veut
des spectacles. C'est un Américain. Il est le parfait adjuvant de
l'hyperconsommation débridée. Bravo. Quel con.
Puisque
je suis sur ma lancée, je continue. Je vais vous parler d'autres
journalistes mes boucs émissaires favoris, puisque Sylvain Cormier
ne détient malheureusement pas le monopole de la bêtise. Je
vais vous parler du rôle des journalistes dans l'actualité.
Ça n'a vraiment ni queue ni tête, vous allez voir. Attendez,
je prends une gorgée de café. Rhâah! C'est bon. Let's
go!
Le véritable
moron, dans toute cette affaire de « moron », c'est le journaliste
qui a entendu, par hasard, cette conversation privée
entre Françoise Ducros et Dieu sait qui... et qui en a rendu compte
dans son canard, pour obtenir un scoop. Ce journaliste est le vrai moron
en chef de toute l'affaire. Si, un jour, je n'ai plus rien à perdre
dans la vie (mettons: cancer généralisé), j'irai le
trouver, et je le truciderai avec un vilbrequin chauffé à
rouge, parce que, franchement, il y a tout de même une limite: si
ce que les vautours journalistiques entendent par hasard de conversations
privées sort tout de même à la une, cela signifie que
n'importe qui de connu, de Mitsou jusqu'à Jean Chrétien,
ne peut plus parler du tout, excepté dans son lit, et encore, que
ce soit à mots couverts (on ne sait jamais qui est-ce qui se trouve
par hasard dans la chambre d'à-côté avec son oreille
puis un verre vide collés sur le mur, par hasard). Non. Écoutez.
C'est une farce. Faut que ça cesse. What the heck?
Parlons-en,
des journalistes... Il y en a un autre, pas beaucoup plus brillant, au
Nigéria, qui a écrit quelque chose du genre: « Le Prophète
Mahomet se choisirait sans aucun doute une femme parmi les finalistes du
concours Miss Univers. » Je ne connais pas les détails exacts,
parce que, ce mois-ci, j'ai été occupé, et, à
l'instar de Franco Nuovo, je ne me suis pas documenté (s'il a le
droit de ne pas se documenter en étant salarié, j'ai, à
plus forte raison, le droit de ne pas me documenter en étant bénévole,
nom d'un chien). Mais bon. Je sais que ce commentaire idiot a causé
des émeutes, des escarmouches, de la bagarre, de la bisbille, bref,
de la merde. Et le concours a été annulé. Pour une
fois que quelque chose, n'importe quoi, se tenait ailleurs qu'à
New York, Paris, Londres ou Los Angeles, voilà que c'est foutu,
on annule le concours, et on le transfère à... Londres. Bon.
Meilleure chance la prochaine fois, Nigéria. Le concours Miss Univers,
c'est un peu nul au fond, mais c'était un commencement, un début.
Ensuite peut-être les championnats du monde d'athlétisme 2004.
Ensuite peut-être avec un peu de chance une exposition universelle
d'ici les dix ou douze prochaines années? Qui sait? Mais là,
non. Tout a foiré. Question: qui a dit ça? Le Prophète
Mahomet se choisirait une femme... Est-ce que celui qui a dit ça
possède un cerveau? Qu'est-ce que tu as bien pu penser, imbécile?
Tu ne pouvais pas, une fois, juste une fois, rien qu'une toute petite fois,
la fermer, ta sacrement de grande gueule de connard cinq étoiles?
Putain d'étron sur deux pattes! Tu es un déficient mental...
La ferme! Shut the holy fuck up! Ça t'a apporté quoi, ton
brillant commentaire de cul? À tous les gens du Nigéria qui
me lisent (espérons qu'il y en a au moins un; vive la langue française),
je dis: trouvez cet homme, le journaliste qui a dit ça, et envoyez-le-moi
bâillonné dans une caisse en métal, je me chargerai
du reste.
Je ne
sais pas si vous comprenez à quoi je veux en venir. Tous les problèmes,
tous ces problèmes sont CRÉÉS par des journalistes
indésirables (les « taches ») ou insouciants (les «sans-desseins»).
Des journalistes, par-ci, par-là. Qui surprennent par hasard
(mon oeil) des conversations privées. Qui passent des commentaires
sur des Prophètes dont il serait préférable de ne
point parler du tout. Rien que des journalistes construisant des problèmes
de toute pièce. L'affaire du « moron » Bush et l'affaire
de Miss Univers au Nigéria, sont deux exemples, flagrants, de situations
d'ampleur internationale qui N'AURAIENT PAS EU LIEU DU TOUT, s'il n'y avait
pas eu de putains de journalistes mouches à merde alentour. C'est
fou. Ils ne sont plus là à seule fin de rendre compte des
choses. Ils provoquent des choses. C'est inconcevable. Sans le savoir,
nous venons d'entrer dans le surréalisme. Nous y perdons tous au
change.
Un mot
en terminant sur le Stade olympique. Non ce n'est pas un journaliste, mais
il y a beaucoup de journalistes qui ont craché sur le Stade depuis
deux ou trois ans. Leurs arguments-massues: il est laid, il est loin, et
il est pas solide. Hum. La Tour de Pise aussi est laide, est loin, et n'est
pas solide. Et les statues de l'Île de Pâques sont laides,
sont loin, et ne sont pas solides. Et Stonehenge aussi: laid, loin, et
pas solide. Et Lascaux? Laid. Loin. Pas solide. Où est le foutu
problème? Le Stade, c'est un peu comme Ozzy, même si la comparaison
peut sembler onéreuse. Ozzy, au tout début de Black Sabbath,
il était adulé, vénéré. Le Stade aussi
à ses débuts, était vénéré. Je
me souviens de l'enthousiasme en 76, même si j'étais petit:
posters du Stade, cartes, autocollants, des pubs sur les bouteilles de
Labatt 50. Ensuite, Ozzy a diminué un peu, pas trop, et a fait une
carrière solo. Le Stade, lui, après les Jeux, s'est effacé
un peu, pas trop, et a commencé sa carrière normale d'amphithéâtre
urbain, comme le grand stade de Maracaña au Brésil, comme
le Stade de France à Paris: concerts, matches locaux, événements
divers. Bon. Ensuite, Ozzy a vraiment sombré profondément
dans la drogue, et, à partir de 1989, plus personne ne parlait de
lui: il n'était vraiment plus du tout « in ». Le Stade,
parallèlement, est tombé de plus en plus profondément
dans la non-rentabilité, et il n'a plus du tout été
« in » à partir de, mettons, il y a huit ans environ.
Puis arrive pour Ozzy l'année 2001: après avoir parcouru
en entier le cycle négatif du « creux de vague », le
voici devenu populaire à nouveau, génial à nouveau,
adoré derechef. Si l'on se fie au parallélisme Stade-Ozzy
qui jusqu'ici ne s'est pas démenti, et puisque un édifice
a une vie proportionnellement plus étendue qu'un individu de chair
et d'os, comprenez bien que, dans quelques années, même pas
dix ans, notre cher Stade sera ressorti de la zone « on le hait »
et aura pénétré dans le secteur du « quel vestige
incroyable, on l'aime! ». Comme Ozzy. Kitsch. Cool. Wow, est-ce que
nous avons vraiment la chance d'avoir ÇA dans notre ville? Waââhw!
Il faut surtout pas qu'il s'écroule, man! Et il y aura de nouveau
des T-shirts du Stade, des posters, et cetera. Alors, quoi? Est-ce que
nous ne sommes pas capables d'accéder à cette vision en quatre
dimensions des choses qui vous entourent? Quatre dimensions, c'est-à-dire:
une vision étirée dans le temps. En 1984 j'avais quatorze
ans et je trippais sur Ozzy. Tout le monde riait. En 2001 tout le monde
trippe sur Ozzy: revirement. Hélas, les journaleux pensent en deux
dimensions uniquement... Il faudrait multiplier un journaleux par un autre
journaleux pour obtenir enfin une créature plus ou moins allumée
qui réfléchirait en quatre dimensions. Qu'est-ce qui se passe,
est-ce que je suis quinze ans en avance sur mon temps? Dites-moi que non
je
vous en supplie!
David
Pêle-Mêle
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