A
quatorze heures, près des boutiques du boulevard L., les passants
aperçurent l'archiduchesse *** de Belletête qui se rendait
précipitament chez mon ami le chevalier de Mignolet. Cette circonstance
était extrêmement difficile à concevoir si l'on considère
qu'ils ne s'étaient jamais adressé la parole.
*** était
incroyablement sexy, portant une robe du soir rouge pâle qui dévoilait
ses courbes parfaites, et dont l'étoffe était si transparante
qu'elle laissait apparaître le bout de ses seins, lesquels étaient
légèrement pointus. Mignolet, en tenue orientale, l'accueillit
avec ces paroles, après l'avoir installée convenablement
dans son somptueux salon aux divans de Baghdad:
- Archiduchesse,
vous n'avez pas répondu à mes lettres, dans lesquelles je
vous expliquais les origines de mon nom. Il est faux de dire, comme l'a
affirmé le marquis d'Eautrouble, qu'un de mes ancêtres fut
pendu sous Chérubin premier.
- Une urgence capitale
me force ici à vous interrompre, dit sèchement l'archiduchesse.
- Qu’y a-t-il ? En
quoi puis-je vous être utile ?
- Ah! Vous savez...
je ne peux tout vous dire, une parole que l'on transforme en rumeur a souvent
perdu un individu, qu'il appartînt à la plèbe ou à
la noblesse.
- Mais madame, sachez
bien que jamais je n'oserai profaner un de vos secrets. Quand bien même
on me torturerait, mon honneur m'interdirait une telle fourberie.
- Je vois que vous
êtes un gentilhomme, cher chevalier de Mignolet. Ah! Si vous eûtes
été moins laid, peut-être m'auriez-vous conquise.
- Je ne crois pas,
car mon coeur est de pierre, dit Mignolet. Si vous ne m'avouez pas votre
secret, je crois que je me verrai dans l'impossibilité de ne point
vous chasser de ma demeure, malgré votre rang et le scandale que
cela pourrait poser.
- Soit, mon chevalier,
je dois vous avouer l'origine de mon mal. J'ai une ferveur tout à
fait naturelle pour le beau Valentin de Bellehumeur. Ses boucles blondes
me paraissent tout à fait charmantes, il me semble être un
enfant sauvage et passionné, qu'on a élevé sur les
rivages d'une île perdue du Pacifique. Ah! Je voudrais le serrer
dans mes bras !
- Voyons, archiduchesse,
modérez vos transports !
- Laissez-moi finir,
je vous en supplie !
- Soit, je vous laisserai
me parler, mais à une condition: vous viendrez ce soir chez madame
Oscar.
- Il n'en est pas
question, jamais je n'oserai une telle infamie!
- Ce sera un bal
masqué: vous serez déguisée. Et vous y découvrirez
peut-être le fils du duc de Bellehumeur.
- J'y consens. Mais
qu'espérez-vous obtenir de tout cela ?
- Un peu de sympathie...
ce soir seulement !
- Vous êtes
ignoble, mon cher Mignolet. J'accepte.
Sur ces paroles héroïques,
l'archiduchesse s'enfuit de chez Fabio de Mignolet qui vint immédiatement
nous rejoindre pour nous raconter son aventure. J'étais occupé
à peindre Bellehumeur, mais il ne tenait plus en place, en entendant
parler de l'amour que l'archiduchesse éprouvait pour lui. Nous nous
mîmes à préparer nos costumes pour le bal masqué
de Madame Oscar.
Valentin n'avait
rien dit depuis l'arrivée de Mignolet. Tout à coup, il se
mit à manger et à l'apostropher la bouche pleine:
- Comment, histrion,
tu oses courtiser ma dulcinée, celle qui doit m'être élue
!
- Mon cher Bellehumeur,
je m'étonne de te voir si possessif.
- C'est faux, seulement
je n'aime pas que l'on vise plus haut que son rang, comme tu le fais en
laissant ll'archiduchesse s'acoquiner avec toi. Et puis, tu te sers de
moyens disgracieux !
- Tu as la rage aux
dents, mon pauvre Bellehumeur. Si l'archiduchesse est assez perverse pour
se rendre chez madame Oscar et ne pas causer un scandale, je mérite
bien moi aussi de participer à cette infamie.
- Jusqu'à
maintenant, j'ai plus ou moins cru que le monde était ignoble. Maintenant,
j'en suis convaincu.
- Bravo ! m'exclamai-je
soudain.
- Mignolet, il est
temps que tu fasses préparer ton costume, à moins que tu
ne veuilles te montrer là-bas dans ce triste accoutrement.
- Mon costume est
déjà prêt, je suis déguisé ce soir en
ours.
- C'est parfait,
tu seras une dangereuse bête, et nous des chasseurs aguerris.
- Je serai peut-être
une bête apprivoisée, qui accomplira des prouesses hautement
libidinales.
- C'est ce que nous
verrons, dis-je.
* * *
Pendant ce temps,
la comtesse de Chérilus se rendit chez la princesse de Louisiane,
qui logeait dans un grand palais. La fille du suzerain rêvassait
dans son jardin, écoutant jouer un orchestre composé d'un
luth, d'une harpe et d'une baqueboutte. Isabelle de Chérilus fit
un profond salut, et s'adressa à la princesse de la manière
suivante:
- Je tremble à
l'idée de vous annoncer l'infamie dont je suis victime.
- Mais qu'avez-vous,
chère comtesse ?
- Je serai cette
nuit forcée de m'unir à l'horrible d'Eautrouble, preux marquis
il est vrai, mais n'en demeurant pas moins une affreuse tête de bovin.
- Vous n'avez pas
tort: d'Eautrouble ne devrait pas aspirer à la noblesse, qui exige
un minimum de charisme.
- Mais qu'allez-vous
faire pour m'aider ? demanda la comtesse.
- Je suis prête
à tout, répondit la princesse.
- Princesse, pourquoi
ne viendriez-vous pas avec moi ? Nous serions déguisées,
et enveloppées d'un profond mystère. Vous pourriez intervenir
en ma faveur si quelque chose tournait mal.
- Ce n'est pas une
mauvaise idée. Mais maintenant permettez-moi, Isabelle, de vous
montrer une chose fort curieuse.
La princesse prit
Isabelle de Chérilus par le bras, et la mena dans le palais. Après
avoir traversé un dédale de couloirs, elles parvinrent à
une porte verrouillée. La princesse sortit une clef de son corsage,
et l'ouvrit. A l'intérieur de la pièce, il n'y avait rien
sauf un aquarium luxueux contenant une espèce de pieuvre, un énorme
spécimen de l'ordre des céphalopodes, noir comme de l'onyx.
C'était un octopode, retenu en captivité pour satisfaire
les nobles penchants de la cour.
- Regardez les bras
du mollusque, dit la princesse. Ils n'ont pas de ventouses, et se raidissent
de la même manière que le ferait, avouons-le, un phallus.
- Je vois ce que
vous avez en tête, dit Isabelle de Chérilus.
La princesse demanda
aux esclaves de la déshabiller. Une fois nue, elle s'introduisit
dans l'aquarium. L'octopode l'entoura alors de ses tentacules; deux d’entre
elles lui lièrent les mains, deux autres les bras, deux autres lui
entourèrent la taille. Le septième bras se promenait à
l'intérieur de ses cuisses. Il se raidit, et pénétra
dans la grotte mystérieuse de la princesse. Le huitième bras
s'introduit par l'autre orifice, et le cri de la princesse retentit dans
tout le palais.
Puis ce fut au tour
d'Isabelle de Chérilus.
Gary
Del Monte
|