En
plein coeur de l'été, la guerre se déclara à
nouveau, et hélas nous dûmes y aller. Le roi des dignitaires
revint d'exil.
J'eus la malchance d'être
dans le même régiment que Valentin de Bellehumeur et François
d'Eautrouble. De plus, Mignolet n'était pas là, et il avait
l'habitude de maintenir le calme entre nos personnalités concurrentielles.
Notre rivalité signifiait des accrochages certains. Mais n'anticipons
pas.
Les femmes accompagnaient
les soldats en leur qualité de vivandières. Elles avaient
le droit de combattre, mais préféraient rester repliées,
soigner les blessés, et leur accorder tout ce dont ils avaient besoin.
Seule Marie de Nazir Khan était dans notre peloton. Je m'ennuyai
fort de ***; j'aurais mieux aimé continuer son éducation
sexuelle que de me trouver au milieu d'un carnage éventuel. C'est
pourquoi je parlais d'elle incessamment à qui voulait bien l’entendre.
- *** est de la véritable dynamite,
je n'ai jamais vu une femme avec autant de fougue.
- Petit morpion! cracha d'Eautrouble. Je
fus le premier à me faire aimer de cette femme. J'ai en souvenir
le sang qui s'est échappé d'elle cette nuit-là.
- Allons, allons, lui répondis-je,
je vous assure qu'elle était pucelle il y a un mois, et que moi
seul lui ait fait abandonner ce crime de virginité.
- Me traitez-vous de menteur ? demanda
d'Eautrouble.
- Seulement de crapule, rétorquai-je.
- Vous êtes tous deux des menteurs,
dit Valentin. Je suis l'auteur de la défloraison de *** de Belletête.
Je l'ai possédée le premier soir où je la vis, chez
Sophie de Nazir Khan, qui pourra témoigner, puisqu'elle a assisté
et même participé à cette soirée mémorable.
Messieurs, *** s'est payé votre tête!
- Je vous provoque tous deux en duel, dit
François d'Eautrouble.
- Parfait, dis-je, rencontrons-nous tous
les trois à minuit, près du Mont-Royal.
Marie de Nazir Khan me demanda
des explications au sujet du duel. Elle était si jolie que je ne
pus m'empêcher de lui faire des confidences. Lorsque fut venu le
temps de nous séparer, elle me murmura à l’oreille:
- Je voudrais que tu gagnes.
C'étaient des paroles
encourageantes.
À minuit, nous étions
tous les trois devant la statue de Georges-Étienne-Cartier, en compagnie
d'un médecin qui nous servait de témoin. Nous convînmes
de faire un triangle, et de tirer au sort celui qui aurait l'avantage de
dominer les deux autres avec le terrain. Ce fut Valentin qui perdit.
Nous prîmes position.
La sueur descendait de mon front à grosses gouttes. Nous n'étions
pas capable de distinguer les traits de nos adversaires. En fait, c'était
terrifiant puisque nous avions l'impression d'affronter des créatures
de l’ombre.
Je me demandais si j'allais
tirer sur Valentin ou sur d'Eautrouble. Certes, ce dernier semblait être
un meilleur tireur, et il avait plus de chance de me toucher que Valentin.
Je n'arrêtais pas de
regarder les mains de mes deux adversaires. D'Eautrouble me tira dessus
au moment où je faisais feu sur lui. Nous entendîmes Valentin
tirer aussi un coup.
Seul d'Eautrouble s'écroula.
Le médecin se précipita pour le sauver.
Je rentrai au bivouac avec
Valentin, sans lui adresser la parole. Il savait que je pouvais le tuer
à n'importe quel moment, par conséquent il était assez
prudent. Je lui dis quand même bonsoir.
Cette nuit-là, Marie
de Nazir Khan fut violée et assassinée. Voici comment. Quelques
vivandières, accompagnées par le vicomte de Pittiglio, qui
était venu nous visiter ce jour-là, s'étaient rendues
au nord de l'île, pour y faire des provisions. Elles furent attaquées
par un peloton de dignitaires saoûls, qui les violèrent et
les tuèrent toutes, à l'exception d'une seule, qui survécut
au désastre, et nous narra l'horrible incident.
Le vicomte de Pittiglio avait
péri en voulant les défendre. Notre chère Marie n’était
plus.
* * *
Une présence qui me
satisfaisait beaucoup était celle d'Isabelle de Chérilus,
dont le mari commandait le septième régiment de dragons.
Inévitablement, le
carnage eut lieu.
Mignolet fut vaillant et démontra
l'instinct du psychopathe, tellement nécessaire en cette occasion.
Il était vêtu d'une armure invincible, alliage de nickel,
de mercure et de sérénium. Il combattit avec une force surhumaine.
On aurait dit un tigre tellement il feulait, et rugissait. Il tua une bonne
soixantaine d'ennemis avant d'être maîtrisé enfin.
Mignolet s'avanca au devant
de ses adversaires. Comme il refusait de s'avouer vaincu, le combat reprit,
et cette fois, il ne put vaincre la loi élémentaire de l'arithmétique.
En mourant, il lança
un cri:
- *** !
Nous dûmes soutenir
une charge de l'armée des dignitaires. Valentin fut un lâche:
voyant l'ennemi arriver, il refusa de combattre. Ensuite, voulant fuir,
il fut atteint d'un coup de crosse dans le dos, et mourut dans une longue
et pénible agonie.
La vaillante armée
du Roi fut défaite. L'érotocratie s'écroula, subissant
ainsi le même sort que les étonnants Cathares, au Moyen Âge.
Plusieurs libres penseurs furent guillotinés, mais dans l'ensemble
ce ne fut pas si redoutable. On assista au retour d’un tyran, William Hunt.
Gary
Del Monte
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