L ' INFORMATIQUE
MON CUL !
L'ordinateur, c'est ce qui régente notre monde. Fini, la planète
Terre, si nos ordinateurs en viennent à nous lâcher. Mais
ils ne se briseront pas! Ils ne nous lâcheront pas! Ils sont user-friendly!
User-friendly
mon cul! Et je ne suis pourtant pas un gros crétin ichtyomorphe:
je peux vous expliquer comment se forme un pulsar, ou comment l'empereur
Açoka a fondé l'Ordre des Invisibles, mais quand on en vient
a parler de paramètres, de format, de compression, JPEG ou BMP en
DPI par pourcentage, ça, ça m'échappe. Je vais vous
dire, moi, ce qui est vraiment user-friendly: une paille! Le plus con des
cons ne peut pas se tromper, avec une paille. Ça fonctionne tout
le temps, contrairement aux logiciels soi-disant user-friendly.
J'ai passé
à peu près quinze heures à créer une image
dans cette saloperie merdique de Photoshop... C'était pour offrir
en cadeau au petit Étienne, mon cousin, qui a sept ans et qui trippe
sur Qui-Gon Jinn (dans Star Wars). C'était son anniversaire... Je
m'y suis pris d'avance. J'ai d'abord fait scanner une photo de lui tenant
un long manche à balai comme si c'était une épée.
Puis j'ai bizouné pendant des jours afin de faire une myriade de
modifications. Plutôt que de se tenir debout là sur la pelouse
à Saint-Donat, Étienne, sur cette photo retouchée,
se dressait sur une colline rougeâtre, et sous une voûte céleste
étoilée, dans laquelle brillaient deux soleils bleus, et
il brandissait son sabre-laser - l'arme préférée des
Jedi et de Qui-Gon Jinn, lequel justement se tenait là, également,
sur la même colline rougeâtre et sous le même ciel étoilé,
juste à la droite de son jeune élève. J'avais copié
une image du film et j'avais rajouté ce personnage (Qui-Gon Jinn)
à la droite du petit Étienne sur cette même photo où,
à l'origine, il n'y avait personne d'autre. Quand la criss d'image
fut enfin complétée, je la sauvegardai sur disquette, j'allai
dans une boutique, pour la faire imprimer, sur la meilleure imprimante
couleur possible. La jeune fille travaillant là récupéra
l'image qui était sur ma disquette, pressa quelques boutons sur
son clavier, et en vérifiant les paramètres de l'image m'expliqua
de sa voix morne qu'il était impossible d'imprimer ce machin parce
que la « compression » était seulement à quarante
pour cent, puis, que, de plus, c'était une image en 100 DPI et que
pour des résultats qui se respectent côté qualité,
il fallait absolument du 300 DPI. Moi j'ai refusé de le croire,
j'ai insisté et elle m'a donc imprimé ceci: un timbre, sur
lequel on ne distingue pratiquement rien de tout ce que je viens de prendre
quinze lignes à décrire. Or, sans le savoir, et bien qu'à
l'écran mon image m'avait toujours paru avoir huit pouces de haut
par environ six de large, j'avais travaillé, à temps perdu,
deux semaines durant, sur une cochonnerie virtuelle qui n'avait, en réalité,
qu'un pouce de haut, par trois quarts de pouce de large et c'est ça
qui est ça! L'informatique me fait chier. Et on nous rabat les oreilles
avec l'expression: user-friendly, hélas ça n'est guère
plus user-friendly que mon scrotum, (et il faut avoir un diplôme
en physique nucléaire simplement pour pouvoir créer une image).
LES GOSSEUX
Le problème,
c'est qu'en fait, et excepté Luc, nul homme ne SAIT comment fonctionnent
tel logiciel, telle application ou patente. La civilisation dans laquelle
nous vivons ne vit que de l'informatique et n'en vit d'ailleurs qu'au «
pif », si vous acceptez gentiment de me passez l'expression. Donc
on y va à la va-comme-je-te-pousse, au petit bonheur la chance,
on tète, on essaie, on appelle un ami pour qu'il nous aide, on re-tète,
on ressaie encore... on trouve un truc par hasard; on s'efforce de déduire
le reste. Ça fait dur.
C'est comme
quelqu'un qui apprendrait à monter à cheval seul, et sur
un cheval sauvage. (Essayons de lui passer, je ne sais pas moi, une lanière
de cuir dans la gueule. Tire un peu à droite! Donne des coups de
talons dans ses flancs! Aïe! le pauvre... il n'a plus trop l'air d'aimer
ça. Au pif, j'te dis! Essaie en tirant la bride d'une seule volée
en criant hue! ou en ne tirant qu'à gauche et en criant dia! Ensuite,
deux coups de talon dans le flanc. Non. Ça ne va pas! Bon, on ressaye
avec un seul coup de talon et hue! et la bride très lâche
durant trois secondes... Etc.) Bonne chance, mes gros! car il me semble
que vous allez en avoir besoin car ça risque d'être long,
votre affaire, à ce rythme-là. C'est du tètage dans
du tètage, dans le but de pouvoir bizouner à un niveau supérieur,
non moins téteux.
Nasdaq,
ça veut dire quoi-tu? North American Stock Display Array Quasimodo?
Net And Space Directory Ad Québec? Quoi? Est-ce que l'un des lecteurs
de Ma Commune, pourrait m'expliquer le rapport martien de ce mot parfaitement
hors de la réalité terrestre? On m'a dit que c'était
une Bourse électronique, c'est-à-dire que l'on a décidé,
un jour, de séparer du reste du Dow Jones les compagnies qui font
dans l'électronique, et de mettre celles-ci dans une cour à
part, seules entre elles, comme une élite universitaire. Sur Nasdaq,
on retrouve que des compagnies comme Microsoft ou Compaq: que des compagnies
de software. Ça doit être ennuyeux à mort de transiger
là-dedans. Donc ils veulent sectionner Microsoft en deux pour avoir
plus de joueurs et donc plus de possibilités. En effet, à
quoi ça servirait d'avoir sur une patinoire, Wayne Gretzky, Le Rastaquouère,
et trois enfants un peu anémiques? Est-ce que le match sera intéressant?
Non! Alors, coupons en deux le plus gros, Gretzky (mettons que ça
donne Fleury, et Jagr), et là, avec eux deux et le Rastaquouère
et les kids, déjà c'est un peu moins ennuyeux. Mais moi,
ce que je ne saisis pas très bien, c'est pourquoi a-t-on eu l'idée,
au départ, d'isoler ensemble ces compagnies qui produisent, somme
toute, quelque chose de plutôt accessoire. Ce n'est pas le software
qui récolte les champs de maïs et qui trait les vaches. Ce
n'est pas le software qui entretient la chaussée, et exploite les
puits de pétrole. Le software n'est qu'un outil pratique, pour aider
ceux qui exploitent les puits de pétrole et qui récoltent
le maïs à administrer leurs affaires, à s'annoncer et
à acheminer leur produit. (Le software est-il seulement lui-même
un produit? Un tournevis est-il un produit? Et un marteau? Niet. Le produit,
c'est la maison préfabriquée, livrée en banlieue.
Marteaux et tournevis sont des outils ayant servi à l'élaboration
du produit en tant que tel.) C'est ainsi que je vois Nasdaq: de la spéculation
non pas sur le produit, mais sur l'outil, ce qui commence à toucher
un peu au domaine de l'abstraction. Notre monde est-il peu à peu
en train de s'abstraire? Le prestigieux est de moins en moins concret.
C'est à tel point stupide, que c'en est drôle!
Windows
fut la mort de l'informatique classique... Louez le film War Games, prêtez
une attention toute spéciale au moniteur du petit gars qui pense
qu'il provoque la Guerre atomique. Regardez tous les moniteurs, tous les
écrans, dans le film: ce ne sont que des écrans noirs, avec
des codes se succédant, ligne après ligne, l'un dessous l'autre,
alors que les codes précédents remontent vers le haut puis
disparaissent de l'écran. Comme dans DOS. L'informatique classique,
les mecs, c'était ça. C'était simple, mais sérieux.
Les fenêtres et les clics, et les double-clics n'existaient pas encore,
et Dieu que nous nous portions bien! C'était un peu comme la sainte
paix, avant une épidémie de typhus, ou comme les "Années
Folles" avant le Krach boursier. Or, à présent, ce n'est
plus sérieux, l'informatique. Nos écrans sont bleus, verts,
jaunes serin, et mille fenêtres s'ouvrent comme autant de petites
boîtes à surprise, pop! Ploup! Pouêt! Plic! Une par-ci!
Une par-là! On double-clique sur des icônes à l'effigie
de personnages de dessins animés comme Homer. C'est assez léger,
et enfantin... C'est amusant. Plic! Ploup! Pop! Fenêtre! Pouff! Close!
Open! Pop! Pouf encore! Comme c'est pathétique! Est-ce que le monde
a vraiment besoin de ça? I am not so sure.
LA SOURIS
L'informatique
a reçu son coup de grâce le jour ou Apple a lancé ses
premières souris sur le marché, (ou plutôt, non, pas
le jour ou Apple les a lancé, mais le jour où IBM a pris
peur puis a décidé de les copier). En bout de ligne, l'informatique
de style IBM n'existe plus depuis 1987. À présent nous sommes
tous Mac et donc Apple même si nous sommes techniquement et officiellement
équipés en PC. Toute la planète Terre ouvre et ferme
des fenêtres rectangulaires sur des écrans, en cliquant ou
double-cliquant sur un icône: ça ne vous dit rien, tout ça?
Moi, ça me dit: Apple. Il n'y a plus d'IBM. Cliquer, moi, ça
m'énerve. Je ferme les yeux puis j'imagine la Terre, vue de très
loin, depuis l'espace, et sur toute cette boule bleue, trente-huit millions
neuf cent quatre-vingt-cinq mille clics à la seconde, à chaque
seconde, toujours, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq
jours par année, et pour l'éternité, parce que c'est
parti, à présent, oui, et ça ne s'arrêtera plus
jamais!

Si les
extraterrestres nous voient de loin, et surtout s'ils ont les moyens de
percevoir le son combiné de trente-huit millions neuf cent quatre-vingt-cinq
mille clics à la seconde ad infinitum, aucun doute sur ce qu'ils
se diront: « Voici une planète de névrosés très
maniaques, dont seul les index tressaillent spasmodiquement sur une patente
à gosse reliée par un fil à une boîte abrutissante.
» Let's come back in a thousand years. For now, it is stalled.
En terminant,
donc, je crie « Vive les Gosseux! ». Persévérants,
entêtés, héroïques. Oui: ils vont sûrement
réussir à nous gosser un avenir pas trop dysfonctionnel,
et, si ça bogue, nous n'aurons qu'à double-cliquer sur Reset
ou sur Delete, et la Terre disparaîtra une bonne fois pour toutes,
dans un Cosmos blanc formaté à neuf (tapez: format C: puis
appuyez sur Enter).
David
Pêle-Mêle
|