Notre
chère Vésicule n’a pas comme unique fonction de consoler
vos cœur brisés, bande de petits fripons débonnaires, en
vous tendant une oreille, bien que fort sale, des plus charitables et en
vous conseillant de la manière la plus bileuse qu’il soit. Ils nous
arrivent quelquefois, lorsque nous ne le voulons plus dans nos pattes à
la rédaction, d’envoyer notre Français en mission de secours
humanitaire, et tout cela dans le bénévolat le plus total
(il serait dommage de ne pas en profiter, n’est-ce pas ?). Alors si vous
aussi vous avez des causes perdues à sauver, n’hésitez pas
à nous écrire, nous nous ferons une joie de vous le prêter
le temps qu’il faudra (de quelques jours à quelques mois, selon
notre état de santé).
Lundi matin. Je pénétrais
dans la grande salle de réunion. A ma grande surprise, seul le Rastaquouère
y demeurait, assit dans son moelleux fauteuil de cuir, lointain souvenir
du Maroc. D’un signe de son crâne chauve, il me convia à m’approcher
de lui sans crainte, chose que j’exécuta prestement. Tout en me
tendant un porte-documents brun et moisi sur lequel on pouvait lire en
grosses lettres “ Porte-documents brun et moisi ”, il me tient à
peu près ce langage obscur, abâtardit par de longs mois d’exil
dans des contrées inhospitalières et surtout par la présence
d’une patch de nicotine qu’il mastiquait avec difficulté (depuis
son retour d’exil, il avait entrepris d’arrêter de fumer le cigare)
:
“ Gnliongniarrrk
kwak kwak… Kwak Melchior…Gniork…Igor…Bjdoskiarskwak…Adresse et numéro
de téléphone de la bassiste, s’il te plaîîîîîîîîîîîîîîîît,
merci…Viiiiiiite glorksfflurôôôôôôt…Kwak
kwak. ”
Je regardais le
Rastaquouère d’un air stupide et interrogateur, mais notre Rédacteur
en Chef avait déjà sombré dans une profonde léthargie
d’où il ne se réveillait qu’au bout de plusieurs heures.
Cela lui arrivait fréquemment depuis son retour. Le décalage
horaire je pense.
Je m’empressais
d’ouvrir ce nouvel ordre de mission et de prendre connaissance au plus
vite de son contenu. C’était fort simple. Le groupe Melchior, le
seul groupe pop potable de tout Montréal, risquait de s’éteindre.
Le guitariste Igor s’était fâché avec le chanteur Melchior.
Il nous fallait de nouveau les réconcilier pour pouvoir bénéficier
d’un nouvel album. Seulement voilà, Melchior, en pop star fière
et têtue qu’il était devenu, ne souhaitait même plus
voir une veinule d’Igor (qui était quelqu’un de très veinard,
soit dit en passant). En post-scriptum, le Rastaquouère me demanda
aussi l’adresse et le numéro de téléphone de la bassiste,
s’il te plaît, c’est très importaaaaaaaant.
Et me voilà,
arpentant la rue pavée ‘De la Petite Guitare’, destination la pâtisserie
‘La Girafe’, lieu ô combien stratégique puisque Melchior s’y
tenait tout le temps. Lorsque je franchis le huis de cette fringante boutique,
quelle ne fut pas ma surprise d’être interpeller jovialement par
M. le Boulanger :
“ Tiens, un Français
! Bienvenu. Je vous sers un croissant au beurre?
- Comment vous avez
su que j’étais français ?
- Vous avez oublié
d’enlever la baguette sous votre bras… ”
Comme je dissimulais
cet incongru objet qui trahit tous ceux de ma race en pays étranger,
je pus remarquer la taciturne présence de la bassiste, assise toute
seule dans un coin avec ses couettes, comme une grande fille qu’elle était.
“ Salut Françoise
! Je suis la Vésicule, me hâtais-je de m’annoncer à
la mystérieuse créature couettée.
- …
Elle me dévisagea
de ses yeux noisettes.
- Humm ! Je suis
à la recherche de Melchior. Serait-il ici, par hasard ?
- …
- Il est peut-être
en haut ? Non ?
- …
- Ne te dérange
pas, je connais le chemin.
- …”
La Bête de
scène se trouvait au premier étage. Mais pour le numéro
de téléphone de la Belle, je compris qu’il ne fallait pas
trop y compter. Ou du moins, il me fallait un don de télépathe.
J’aviserai plus tard.
Gravissant l’escalier
en colimaçon, je me rendais dans une section de la pâtisserie
normalement réservée qu’aux VIP. Là, dans une immense
pièce vide, se tenait une unique table et comme unique personnage
Melchior, qui s’amusait à tremper des éclairs au chocolat
dans un unique bol de café au lait. Mon arrivée lui fit se
relever sa tête blonde et poser sur ma modeste personne environs
35000 questions, dont celle ‘houze visse fequing gaye ?’
“ Melchior ? Bonjour,
je suis la Vésicule. fis-je en lui tendant ma main droite (celle
qui est la moins sale).
- Connais pas. me
répondit-il en me tendant un sourcil blond (donc pratiquement invisible)
relevé en accent circonflexe spockien.
- J’écris
dans Ma Commune (légère).
- Connais pas.
- Mais si. Le cousin
de David, Claude, nous connaît bien.
- Ah ?
- Et je suis venu
te voir pour t’interviewer. Tu es sans aucun doute le High Priest of the
Pop. ”
Son visage s’illumina.
“ Ah ouais ? Et
bien, chère…euh…
- Vésicule,
je suis la Vésicule.
- Ouais, ouais…
la vessie, pose ton cul et prends un truc…là. C’est bon, tu verras.
- Merci Melchior.
Oh ! Je me laisserais bien tenter par ce pet-de-nonne.
- Appelle moi Mel,
comme tout l’monde. ”
A cet instant, le
cousin Claude entra à son tour dans la pièce en portant une
grosse caisse de bois.
“ Salut Mel
!
- Salut Klaus (amusant
sobriquet puisqu’il était germanophile). Tu connais sans doute la
vessie ?
- Non. C’est qui
?
- Un chum à
ton cousin David.
- Ah ? Salut la
vessie.
- B’jour Claude.
- Dis, Mel, j’ai
reçu une caisse de langoustines toutes fraîches. J l’a pitche
au frette en attendant ce soir. Reste plus qu’à trouver du jus de
citron.
- Cool. ”
Et le cousin Claude
nous quitta, chargé de sa caisse de crustacés prêts
à être citronés et dévorés. Avec mon
sens inné de la diplomatie, j’abordais le sujet avec précaution.
“ Alors comme ça,
tu t’es fâché avec Igor ?
- … QUOI !! …NE
ME PARLE PLUS DE CET ESTI D’COLON !!!
Je fus estomaqué
par une réaction aussi brusque. Rouge, il menaçait violemment
mon œil d’un éclair au café.
“ Calme toi, je
n’imaginai pas que cette querelle était aussi intestine. ”
La pop star me répondit
pas et cracha un morceau d’éclair. Il reprenait une couleur un peu
près normale.
“ Que s’est il passé
? Pourquoi êtes-vous séparés ?
- C’est de sa faute…
il ne jouait plus assez avec ses tripes… On aurait dit le duo des nonnes…
C’est sur qu’on aurait fait que des bides par le futur.
- Ventre Saint-Gris
!! Il ne faut pas se laisser à de pareilles humeurs bileuses ! Vous
étiez tous les deux les entrailles de la gang. Avec lui, c’est tout
une appendice du groupe qui s’en va.
- Sorry man ! je
n’veux plus de lui.
- Mais avoue que
c’est tout de même une décision viscérale qui n’a pas
de bon sens. Et comment tu vas le remplacer ?
- Ma foix, c’est
simple. Les prétendants devront jouer du Hendrix, du Pixies, du
Lee Perry, du Sex Pistols, du Maceo Parker, du Thiéfaine, du Borodin,
du Chapman, du Bach, du Marley, du Jala Papa Live, et tout ça dans
le désordre, en buvant entre chaque morceau un pichet de rhum-vodka-téquila-sambouca
que je préparerai personellement. Celui ou celle qui est encore
debout après une nuit de test pourra commencer à répéter
avec nous le lendemain.
- Mais c’est absurde
! Personne ne pourra…
- Écoute
un peu. Tu viens me déranger dans ma collation de 10 heures, tu
m’emmerde avec des histoires qui ne te concerne pas et tu réussis,
chose incroyable, à me couper l’appétit en plus !! Alors
tu dégage vite fait ou je te tords les boyau et tu te retrouves
avec un deuxième rectum ! ¿ Entiendes ? (il était
parti quelques temps à Barcelone) ”
Je revins penaud
dans la salle de réunion. David se tenait à côté
du Rastaquouère qui dormait toujours.
“ Alors ? me demanda-t-il,
c’est arrangé ?
- Non. C’est un
échec total.
- Tu as rencontré
Igor ?
- Non, j’ai pas
eu de veine.
- Et les infos sur
la bassiste ?
- Ah merde ! J’ai
oublié de lui demander ! ”
C’est à ce
moment que le Rastaquouère se réveilla…
Le
Français
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