HAWK'S HAYDAY
par David Pêle-Mêle
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     Tant qu’à noircir du papier, ou des pixels, noircissons-en pour la bonne cause. Moi, j’ai toujours été un observateur sceptique (ce qui, en grec, est un seul et même mot), et en ma qualité d’observateur sceptique, j’ai décidé d’organiser une entrevue, très bien chiée, et tout et tout, à la Robert Guy Scully, professionnelle au max, avec l’un des principaux promoteurs de la très-controversée guerre en Irak. J’ai envoyé trois e-mails en Virginie, au Département d’État américain, et ces gentils messieurs m’ont répondu (comme quoi ils sont loin d’être aussi élitistes que l’on croyait). La guerre en Irak, moi, je ne l’ai point regardée, à la télévision, autant que certains autres accros du Direct... À cette époque-là, j’étais occupé à me faire à moi-même une greffe du pied, en plus de lire L’Aveuglement de Saramago, et de me les geler. J’ai quand même vu deçà et delà quelques bouts assez bien, dont le soldat britannique en flammes qui sort en courant d’un bâtiment la nuit, quelque part à Bassorah, ou cette scène inoubliable devant le tombeau de ‘Ali à al-Nadjaf: soldats américains mettant un genou par terre, après avoir reculé de cent pas devant la foule en colère (une directive donnée vraisemblablement par leur officier, l’un des rares militaires encore capables d’improviser et d’avoir un moment d’inspiration brillante; or, ils ne nous l’ont même pas présenté, ce type). Alors, bon, j’ai lu, je me suis documenté, j’ai préparé cette entrevue consciencieusement... et en tout cas, mieux que Martineau lorsqu’il a reçu Raël, nom d’une pipe à dix dollars. Maintenant, je puis dire, comme Jean Charest durant sa campagne: « Je Suis Prêt ». Même si on ne l’est jamais véritablement.

   Wolfowitz, un monsieur affable et correct, a accepté notre invitation. Je l’ai rencontré dans nos bureaux (revampés pour l’occasion) de Ma Commune Légère, vendredi dernier. Il a été très gentil. Il ne rit pas beaucoup... En fait, jamais. Comme monsieur Rivet (à qui il ressemble un peu physiquement, d’ailleurs, les lunettes en plus). Je l’ai bombardé très généreusement de stealth-questions à propos de l’administration Bush, des « weapons of mass distraction » et non « destruction » comme disent les critiques, le pont aux ânes, et de ces stratégies médiatiques fortement teintées de psychopolémologie, le tout arrosé de mon cynisme habituel. Servir chaud. Ça devrait être comestible.

   Un dernier détail: puisque nous sommes deux fascistes aucun d’entre nous n’a jugé bon de déployer le moindre effort afin de parler dans la langue de l’autre, alors le résultat est une entrevue bilingue. C’est ça, la mondialisation.

David Pêle-Mêle : Bienvenue dans nos modestes bureaux, monsieur Wolfowitz.

Paul Wolfowitz : It’s cozy. You’re welcome.

David Pêle-Mêle : Thanks for accepting the invitation, really.

Paul Wolfowitz : My pleasure.

David Pêle-Mêle : Commençons par parler un peu de vous, si vous le voulez bien. Vous avez travaillé pour Reagan, et pour Bush père, n’est-ce pas?

Paul Wolfowitz : Seems like a hundred years ago isn’t it? My first job was at Wal-Mart, like everyone else, but then I worked at the State Department.

David Pêle-Mêle : Vous considérez-vous comme ayant un sale caractère?

Paul Wolfowitz : No. I’m a good man. A man with simple tastes.

David Pêle-Mêle : Qui a inventé le terme Pentagon Hawks?

Paul Wolfowitz : Journalists like you. We never called ourselves anything fancy, besides our real names, Richard, Donald, William...

David Pêle-Mêle : Est-il vrai qu’il y a dans votre petite bande, une femme, la Fauconne autrement dit (ou la vraie)?

Paul Wolfowitz : Yep. Her name’s Kirkpatrick. Jeanne Kirkpatrick.

David Pêle-Mêle : Est-elle jolie?

Paul Wolfowitz : She’s cute all right.

David Pêle-Mêle : Votre ami Dick Cheney, j’ai entendu dire qu’il fut opéré, trois, voire quatre fois, pour le coeur. La dernière opération était quelque chose d’aberrant, du style: octuple pontage coronarien. Les organes internes de ce pauvre homme doivent être de minuscules monstres Frankenstein. Espérez-vous qu’il vive encore longtemps?

Paul Wolfowitz : I hope to God. We need Dick at the Pentagon, badly.

David Pêle-Mêle : Votre réponse me fait sourire.

Paul Wolfowitz : Dick is a genius, he’s very articulate and has good ideas.

David Pêle-Mêle : Que répondriez-vous à tous ceux qui déplorent le fait que, depuis un bout de temps, les gens intelligents sont conspués: Mandela, Chirac, Kofi Annan, Hans Blix... Pourquoi? Est-ce à présent le règne de la bêtise têtue?

Paul Wolfowitz : The men you named are not really intelligent. They wish... Two Black men; a German nerdy scientist; and a French commie cheese-eater. I think the world has more brains than that to offer.

David Pêle-Mêle : Vous et vos compères, par exemple?

Paul Wolfowitz : We shall see. It’s too early to tell. The fun has only started.

David Pêle-Mêle : Vous me rassurez. Allez-y franchement, surtout. Foncez dans le tas!

Paul Wolfowitz : Just watch me.

David Pêle-Mêle : Ne trouvez-vous pas insultant que ce Pénis Cheney prenne un cours intensif sur le monde arabe et ressorte de là en concluant que les Arabes ne comprennent que les « rapports de force violents »? Autrement dit: ce sont des chiens, ils n’ont pas de cerveaux, et il s’agit simplement de les discipliner?

Paul Wolfowitz : Who cares? They’re just Pakies.

David Pêle-Mêle : Que voulez-vous dire par « Pakies »?

Paul Wolfowitz : You know. Pakies. The dirty breed that live in Iraq, Iran, Syria, Egypt, Saudi Arabia, and that pray to that strange Prophet named Mecca...

David Pêle-Mêle : Pour vous, ils sont tous pareils, ces peuples, si je comprends bien?

Paul Wolfowitz : Are they not?

David Pêle-Mêle : Et en plus, ils étaient trop mauviettes pour se débarrasser de Saddam tout seuls; il a fallu que l’Amérique vint leur prêter main-forte (et faire tout le travail).

Paul Wolfowitz : Precisely. And we did it, didn’t we?

David Pêle-Mêle : Et les trésors du Musée de Bagdad? Les choses d’Hammourabi?

Paul Wolfowitz : Old stuff. Who needs that? We live in a new world now.

David Pêle-Mêle : Plusieurs gens disent que Bush est un va-t-en-guerre. Un fou. Qu’est-ce que vous en pensez?

Paul Wolfowitz : George is the best President we ever had. He’s a very decent man.

David Pêle-Mêle : Est-il vrai que vous avez vous-même transformé l’« Operation Infinite Justice » (celle contre les Talibans), en une « Operation Infinite War », et que vous voulez envahir des pays en cascade du Moyen-Orient jusqu’en Asie?

Paul Wolfowitz : I cannot comment on this subject. It’s restricted intelligence.

David Pêle-Mêle : On ne saurait mieux dire.

Paul Wolfowitz : What’s your next question?

David Pêle-Mêle : Craignez-vous l’Iran?

Paul Wolfowitz : Less and less every day. We’ll get to them eventually.

David Pêle-Mêle : Est-il vrai qu’un document a émané du Pentagone en l’an 2000, dans lequel on pouvait lire: « Everything is ready now, all we need is a new Pearl Harbor. »

Paul Wolfowitz : You’re taking things out of their context. This was part of a document called Project for a New American Century, drafted by my colleagues, Richard Perle, and Don Rumsfeld. Pearl Harbor was only used as a hypothetical benchmark reference.

David Pêle-Mêle : Mais les attentats du onze septembre se sont produits! et n’est-ce pas là un « New Pearl Harbor », à peine un an après ce que suggérait ledit document?

Paul Wolfowitz : You’re a conspiracy theorist. That’s a coincidence. Period.

David Pêle-Mêle : Justement, parlant de ces fameuses conspiracy theories... ne trouvez-vous pas un peu risible le fait que personne en Amérique ne soit capable d’admettre que, peut-être, je dis bien peut-être, les attentats du onze septembre étaient planifiés par vous depuis le début, et que, d’un autre côté, tout le monde ait cru dur comme fer aux armes de destruction massive de l’Irak?

Paul Wolfowitz : What are you getting at?

David Pêle-Mêle : Bien, dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas la moindre preuve! Aucune preuve que les attentats de New York ont été orchestrés par vous; aucune preuve que Saddam possédait des armes bactériologiques et chimiques. Et pourtant, la populace, sans preuves tangibles, n’a jamais cru aux attentats « arrangés », puis a toujours gobé ces fameuses « armes de destruction massive ». Je ne vois aucune rigueur là-dedans. C’est une sorte d’empirisme de l’insu, tout ça; c’est une rhétorique de l’invisible.

Paul Wolfowitz : Are you on drugs?

David Pêle-Mêle : Je bois trop de café, si c’est ce que vous voulez dire.

Paul Wolfowitz : Coffee is okay.

David Pêle-Mêle : J’ai ici certains extraits de textes dans lesquels des auteurs reprochent aux Faucons d’avoir une attitude biaisée, en ce qui concerne l’épineux problème israélo-palestinien. D’ailleurs, vous-même, n’est-il pas vrai que votre famille vit en Israël?

Paul Wolfowitz : Leave my sister out of it.

David Pêle-Mêle : Parlons de l’Irak. Certaines critiques accusent les troupes d’avoir tout détruit parce que cela favoriserait les contrats de reconstruction. Pour l’Amérique, est-il plus avantageux et payant de détruire? plus avantageux et payant de reconstruire? Est-ce que les lobbies militaires, les fabricants d’armes et d’obus, les entrepreneurs ou bâtisseurs de structures neuves, exigent vraiment cela? La brutalité est-elle décidément bien plus rentable que la subtilité? L’extrémisme américano-britannique est-il plus profitable que la pondération onusienne?

Paul Wolfowitz : Of course it is! And what’s wrong with making a few bucks? But don’t use the word ‘extremist’ when you talk about us, we’re the enemies of extremists.

David Pêle-Mêle : Parlant de mesures extrêmes, et même draconiennes, que pensez-vous de la merveilleuse philosophie nouvelle de Paul Auster: « USA out of NY »? N’est-ce pas rafraîchissant et révolutionnaire?

Paul Wolfowitz : I don’t know the man you’re talking about. But this is crazy. 

David Pêle-Mêle : Mais ça n’est pas beaucoup plus fou que votre nouveau système TIPS pour délateurs en herbe (Terrorism Information and Prevention System).

Paul Wolfowitz : TIPS is a great tool to combat terrorism. We need that.

David Pêle-Mêle : Et avez-vous besoin aussi des «mini-nukes», des « depleted uranium rockets », et autres armes de destruction plutôt massive merci?

Paul Wolfowitz : The American military must be equipped to fight rogue regimes.

David Pêle-Mêle : Et ceux qui militent dans le mouvement Not In Our Name?

Paul Wolfowitz : Terrorists. They’ll be in jail very soon, all of them.

David Pêle-Mêle : Ça promet. Je suis fier de vous.

Paul Wolfowitz : I know.

David Pêle-Mêle : Donc, vous attestez solennellement qu’il n’y a rien du tout de pourri, au royaume de Bush? Qu’il n’y a pas d’obscurantisme politico-militaire, rien de tel?

Paul Wolfowitz : Of course not... Staring at something for way too long, people start hallucinating things. Just look away, from time to time. Live your lives... Let us take care of the rest. You’ll see. Everything’s gonna be all right.

David Pêle-Mêle : Vous me rassurez monsieur Wolfowitz. Je vous remercie. Puis-je vous serrer dans mes bras?

Paul Wolfowitz : I would prefer if you don’t.
 
 
 

David Pêle-Mêle 
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