Le Rastaquouère, ancien disciple d'Allister Crowley, a envoyé
David Pêle-Mêle de force à Toronto pour enquêter
sur le Pape et ses agissements, et faire un rapport détaillé
sur l'atmosphère qui régnait dans la Cité des Anglais
lors de cette semaine de fous, et aussi sur l'identité relativement
douteuse et imprécise de tous ces jeunes qui ont convergé
massivement, comme sous une sorte d'hypnose collective, vers l'endroit
que Lloyd Robertson seul persiste à appeler encore la Ville Reine.
Les préliminaires
C’était déjà
le bordel à Montréal le dimanche soir précédent.
Des bannières du Guatemala, de la Barbade, des hourras,
des flûtes; une bande d’environ cinquante Salvadoriennes dans le
métro qui font une danse en carré version Amérique
Centrale, qui tapent des mains et qui chantent super hyper rapidement,
mais synchro, un chant saccadé comme une mitrailleuse... Le wagon
en tremble, même lors des arrêts. C’est hallucinant. Ma station:
je sors. Des Tahitiens, toute une famille, le père allant devant,
mais stoppant net, au pied de chaque escalator, et posant un premier pied,
très doucement, pour ne pas tomber dans la fente (ben oui, j’aurais
dû y penser)... Au deuxième escalator je ne fais pas attention
parce que je regarde les dix-huit milliards de personnes qui descendent,
là, en sens inverse. Mais j’aurais dû être attentif,
parce que: boum! j’emboutis la maman tahitienne. Et merde, quoi encore?
Le papa a re-stoppé avant de s’engager dans le nouvel escalier.
À l’aide!
Mais qu’est-ce que c’est que
ces dix-huit milliards de personnes, nom de Dieu? Je ne savais même
pas qu’il y avait dix-huit milliards de personne sur terre. Croyais qu’y
en avait sept. Mais oui: c’était une soirée de feux d’artifice
à La Ronde, je n’y avais pas pensé. Et il est dix heures
quarante-cinq et ça vient donc de se terminer. Donc, des jeunes
de la JMJ et, aussi, les gens qui sont venus assister encore une fois à
ces putain de merde de feux. Ça fait du monde!
Ça klaxonne. Deux ivrognes
s’engueulent sur la bretelle d’accès du pont fermé. Des flics
partout excepté là où les deux gars se battent...
Un blondinet roupille dans une décapotable stationnée en
plein trottoir. Par terre, suffisamment de bouteilles de bière pour
faire un pont de la terre à la lune, et je ne parle pas de
la lune de Lamartine, mais d’Io, l’une des lunes de Jupiter. Bordel, je
vous dis! Juste à l’intersection Ontario et Papineau, un gars dans
une camionnette essaie de faire un « pi » turn. Qu’est-ce que
c’est qu’un « pi » turn? Eh bien c’est un U-turn, mais
plus stylistique: plutôt que de virer comme la lettre « U »,
le gars essaie, en virant, et ce en plein trafic, de dessiner la lettre
grecque Pi, qui est comme un « U » inversé, et beaucoup
plus compliqué, avec des queues et des appendices mystérieux.
Alors cette camionnette est là, au beau milieu d’un concerto (en
ré mineur) de klaxons, et le gars recule, avance, tourne, recule
de nouveau, crampe, ravance, rerecule, zigonne, gosse. C’est une véritable
joke. On aurait tous envie de lui hurler: « Mais, OÙ vas-tu?
» Quel cirque!
Des casquettes (c’est-à-dire
des jeunes Lavalois) inspectent des bagnoles dans le stationnement d’un
concessionnaire évidemment fermé à cette heure tardive.
Ils essayent de choisir laquelle ils veulent. Ça discute... On compare
les marques... Oui, on est de grands connaisseurs ès cochonneries
motorisées, n’est-ce-point, my dear? Et cetera.
Mais, casquettes, que diable
faites-vous? Vous aller la voler, la caisse, c’est ça?
Et ce n’était
que le début. Le surlendemain, autobus jusqu’à Toronto. Zoo
motorisé. Un gars qui parle de ses gaz (ses pets) à une
grosse dame de couleur, durant presque une heure. Il a un public. Ça
rit. Ça se bidonne. Le bus plein à craquer. Un maigrichon
essaie de roupiller en vain bien sûr, et crie tout le temps: «
Plea-a-ase! » Une fille étudie un cahier de notes de mathématiques.
C’est quoi, le rapport? Est-ce le lieu et l’heure d’étudier? Incroyable!
À Cornwall tout ce beau monde descend du bus pour aller se dégourdir
les jambes comme si leur vie en dépendait. Quand ils réintègrent
le bus, évidemment, il y a des désaccords au sujet des places.
« I was here! », « No ask her, it was me! »,
« You were there! I was in row twelve. » Un zoo, vraiment.
Il n’y a pas à dire.
À T.O. ça grouille
de partout. Du monde, du monde, du monde... Manhattan à midi! Et
même dans les putain de bordel de merde de saloperies de rues
résidentielles, il y a foule... Des marmots qui ont écrit
à la craie de couleur sur le trottoir un immense « Welcome
WYD 2002 », ne veulent surtout pas que l’on piétine leur
oeuvre. Un cycliste manquent de peu de tuer un chien. Un mec avec une grosse
brouette jaune remplie de cannettes vides s’arrête près d’un
genre de grunge en train de se vider une bouteille d’eau minérale
sur la tête, et lui demande un peu de son eau. Vraiment assez weird.
C’est comme une folie, les gens ont tous déjanté, tout le
monde est crackpot. Ça promet!
Le résultat escomptélé
La « présentation
» des nations, montée à la mode des Jeux olympiques,
ça, vraiment, c’était nul à chier. Nous ne sommes
pas aux Jeux olympiques. Ce n’est pas le même fond, pourquoi serait-ce
la même forme? Présentez-nous tout ceci différemment,
de grâce, messieurs les organisateurs abominablement dépourvus
du plus petit soupçon d’imagination!
Je ne me suis pas rendu sur
place. Les foules en délire, ça me hérisse le poil.
J’étais à trente coins de rue environ, avec un verre de Chartreuse.
J’ai zieuté les moments forts à la télévision,
ça m’a suffi amplement. La caméra nous a montré deux
jeunes filles qui priaient en regardant leur livre de psaumes. Quelle merveilleuse
scène. Subitement, quelqu’un leur a dit qu’elles étaient
live en ce moment même sur l’écran géant et que
deux cent mille personnes les regardaient; les deux jeunes filles abandonnèrent
instantanément leur prière et devinrent comme possédées
pas Satan (qui, lui aussi, pour l’occasion, s’était rendu à
Toronto), hystériques, criant et gesticulant, hurlant, agitant les
mains, envoyant des bye-bye à l’objectif, et souriant de toutes
leurs dents... Bref, ce fut une catastrophe. Comment pourrait-on leur faire
comprendre qu’elles étaient si impressionnantes avant (en
prière) et si bêtes et tellement « mouton » après
qu’elles se soient aperçues de ce que tant de gens pouvaient les
observer? Pourquoi cette hystérie soudaine? Je sais bien que c’est
dorénavant passé dans la culture populaire moderne, de perdre
ainsi la boule lorsqu’on passe à la tivi, mais pourquoi?
Qu’est-ce que la tivi, au fond? Des images connes prises par des
caméramen cons et diffusées sur des ondes connes par des
chaînes connes pour combler l’espace non-lucratif con entre deux
blocs de messages publicitaires cons que regardent religieusement des kyrielles
de cons assis sur des sofas cons dans des villes connes. Point. Ce n’est
que ÇA, la télévision. Alors est-ce que ÇA
mérite qu’on fasse avorter la plus banale, la plus humble des prières
personnelles, pour se donner en spectacle? Non! Absolument pas. Mais comment
faire comprendre ça aux petites jeunes filles qui prient, et que
nous n’étions même pas sensés voir prier, de toute
manière?
Plus tard, un journaliste
stupide interroge deux autres filles, et il dit: « The Pope talked
about the leizure and other superficial things. What do you make of it?
» Les journalistes étant une race de crétins irrécupérables,
et sensationnalistes à l’excès, il aurait voulu que les jeunes
filles répondent quelque chose du genre de: « Oui, c’est un
peu contradictoire avec notre petit style de vie, car nous portons des
bijoux dans le nombril, et aimons bien coucher avec trois garçons
à la fois les jeudi et samedi soir... » Hé! hé!
Heureusement, nos deux jeunes filles ne répondent pas cela; elles
ne donnent pas à cet imbécile le petit scoop sensationnaliste
qu’il aurait bien voulu prendre... Quels lâches ils sont, ces journaleux,
lorsqu’ils posent ce genre de questions! Je les hais! À cause de
la caméra, les deux jeunes filles qui récitaient un psaume
ont avorté leur prière. Et puis voilà-t-y pas que
ce sale demeuré à qui on a donné un micro essaie de
trouver de petits scandales ou de petits aveux insipides au premier détour.
Déprimant.
Les médias: c’est là
tout le problème. C’est ce qui gâche tout. La peste médiatique.
Young Americans (comme dirait Bowie)
Finalement, qu’est-ce que
c’est, la Journée Mondiale de la Jeunesse? Ce sont des Américains
qui viennent en vacances pour faire un party. Voilà! C’est tout...
Il n’y a rien de plus! Bien sûr, il y avait des Croates, puis des
gens du Mali, mais ces derniers représentaient une quantité
infinitésimale de la foule en comparaison de ces légions
cacophoniques de jeunes Américains criards et bardés de drapeaux
arrogants ou d’appareils photo à trois cent dollars pièce.
Pensez-vous qu’ils sont venus là pour se recueillir? Hum! Euh...
Comment vous détromper? Ils sont venus là, croyez-en ma parole
d’honneur, parce que c’est l’été, parce que le Pape est devenu
comme une sorte de vedette politico-spitituelle, parce que leurs parents
les ont laissés y aller car c’est chapeauté par des comités
de pastorale ou autres machins ayant bonne réputation, puis, une
fois sur place, pour faire le party, forcément: écouter du
tam-tam, et danser. Prier? Bof. On fera ça lorsqu’on sera de retour
à la maison (ou alors on jouera à un jeu vidéo, ce
qui est une manifestation binaire et ultramoderne de l’oraison classique).
Bref, pour eux, c’est Woodstock, mais avec une prestigieuse réputation
de sainteté qui autorise presque tout. « Allons faire les
fous, mais avec la bénédiction de l’Église! »
Qui dit mieux, en effet?
Un jeune demeuré fait
le signe du "horned hand" lorsque le Pape passe près de lui, preuve
formelle que la non-intelligence desmorales est à son comble. Jean-Paul
II ou Ozzy, quelle différence?
Cela aurait dû
avoir lieu hélas en Amérique du Sud ou en Afrique, pour qu’il
en coûte moins cher aux véritables chrétiens (c’est-à-dire,
soyons parfaitement honnêtes, les Africains puis les Latino-Américains)
de s’y rendre, mais un peu plus cher à ceux que j’ai gentiment rebaptisés
les « touristes de la foi » (les Américains), qui, de
toute façon, ont les moyens de payer, et même plus, s’ils
veulent vraiment faire acte de présence... Mais les Américains
sont malhonnêtes: ils sont venus à T.O. parce que c’est tout
près, parce que la canicule y est moins dure qu’à Chicago
ou à Philadelphie, que le dollar canadien est faible, et que leur
fric vaut presque son double... Si ç’avait eu lieu au Botswana,
très loin de chez eux, dans un pays avant d’aller dans lequel il
leur faut à tous un passeport et un visa d’entrée, dans un
pays avant d’aller dans lequel des Occidentaux doivent se faire administrer
pas moins de sept vaccins, auraient-ils été aussi
nombreux? Réponse: mais, oui, si leur foi est sincère et
résolue! Pourquoi pas? Mais non. Leur foi n’est pas sincère
et résolue, who are you kidding? Nous sommes en train de
parler d’Américains, allons! et qui plus est, de jeunes Américains.
Au Botswana, douze ou quinze seulement y seraient allés, et non
cinquante-cinq mille, nom d’un chien!
Et ça fait des p’tits...
Il y avait le Alternative
World Youth Day. J’ai mis les pieds dans leur tente, l’espace de quelques
minutes. Des jeunes qui distribuaient des condoms, et qui disaient, avec
raison (lorsqu’on se donne un peu la peine d’y réfléchir),
que c’est de la naïveté pure et simple que de penser que huit
cent mille jeunes seront rassemblés, durant cinq jours, et qu’il
ne se passera vraiment rien de « pas catholique », comme on
dit, et je ne fais pas ce pléonasme uniquement pour le plaisir.
Durant une adresse à
la foule, nommer le nom véritable du Pape, il me semble que c'est
d'un goût un peu douteux. En plus, comble de la maladresse, les deux
orateurs québécois qui prennent la parole juste avant la
vigile réussissent à prononcer les mots "contagion" et "protection
pour la nuit" [sic], alors qu'on sait fort bien que la contagion de l'herpès,
durant cette nuit à la belle étoile dans des sacs de couchage
pour quatre cent mille jeunes adultes en pleine forme, sera déjà
bien suffisamment efficace.
Je donne une sacrée
bonne note, donc, aux gens du Alternative WYD pour ça. D’ailleurs,
comme eux, j’aimerais bien connaître la statistique du nombre de
grossesses chez les participantes après un événement
de cette sorte... Je ne veux pas être l’avocat du diable (il en a
de meilleurs que moi, et mieux rémunérés), mais je
veux être réaliste, tout de même... Je serais curieux
de connaître cette mystérieuse statistique, car elle existe
assurément! Il n’y a pas l’ombre d’un tiers de doute dans mon esprit.
Il y a eu les Enfants de la Crise du Verglas, en octobre 1998 environ (neuf
mois après), et il y aura sans doute bon nombre d’Enfants de la
JMJ vers la fin d’avril 2003. Que voulez-vous que j’vous dise? Est-ce une
bonne chose, ou une mauvaise chose? Dieu seul le sait. Il le savait même
à l’avance.
David
Pêle-Mêle
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