LE RÉCIT
par Mon Marco
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Tel un mistral sec et cendreux du Languedoc, Mon Marco entra dans la salle de rédaction de Ma Commune. La porte claqua et le bois-franc trembla alors que ses bagages tombèrent en un lourd et vitreux fracas. Il jeta un regard, mi-plein de condescendance et mi-plein de nostalgie retrouvée, sur cet endroit mal famé qui n’avait, en outre, pas changé depuis six mois… 

Au vacarme, tous sursautèrent. Le Français le premier, sa tuque de père noël lui tombant lourdement au nez. Subitement, à rester là, béant, ses narines s’activèrent. Elles se dilatèrent, lentement tout d’abord, puis dans une frénésie vive et montante, assiégées par les fines particules d’odeurs familières qui envahirent peu à peu l’air à mesure que le poussiéreux voyageur secouait sa personne dans l’entrée. Sous la noirceur de son bonnet, levures de pilts et jambonneau au porto mal digérés se mélangeaient à des vestiges de pinot noir et de gewurstraminer ; de baume à l’abricot et d’essence de Gerlin ; d’herbes de Provence et de gésier de canard ; de mirabelle et d’absinthe ; de tarte flambée et de Munster ; de kouglof et de vin de Noël ; de saucisson Corse à l’âne et l’ail et de fluocaril bruxellois… Ces molécules diverses et coutumières lui montaient si rapidement à la tête que le pauvre bougre fut prit d’une ivresse telle, qu’il s’écroula au sol dans un profond coma. 

Pêle-Mêle, plissant démesurément les yeux, fini par reconnaître Mon Marco et laissa de côté l’orange, qu’avec tant de soins, il s’appliquait à peindre en bleu. Tous deux se prirent alors d’une longue et langoureuse étreinte qui fit rougir des murs blêmes de la pièce jusqu’aux pommettes de la petite Dyke Kiri, qui la seule, ne ferma pas ses jolies billes à la vue de ces licencieuses retrouvailles. Le Rastaquouère ne serait certes pas sorti de son sommeil, si ce ne n’eut été pour Woody, son oreiller de fortune, qui, après un bêlement hystérique, se jeta singulièrement sous le divan. Le rédacteur en chef se gratta le crâne et appela, en frappant les mains, la horde de bons artisans qui labouraient sans repos les dernières mises à jour de Ma Commune. Six macaques rhésus apparurent alors, bondissant, crayons et souris en mains, dans la cohue la plus folle ! 

Le ré-cit ! Le ré-cit ! Le ré-cit ! tous clamaient vivement en cœur. Mon Marco, un vague sourire aux lèvres, apaisait la badinante foule d’une main, tandis que de l’autre, il les pressait à former cercle autour de lui. L’ambulant tira ensuite une chaise où il posa un pied, lançant un regard interrogatif aux yeux avides rivés sur lui… Pêle-Mêle leva le premier la main : 

“ Est-ce vrai qu’ils pouirent, les français ?!? 
- Certes. Ils puirent moult. Prochaine question. 
- Ah ! J’le savais !!! ” Rétorqua Pêle-Mêle. Et tous se frappèrent abondamment la panse ! 
“  Même les filles ?!? ajouta Le Rastaquouère. 
- Non, non… Elles écument une forte odeur… D’abricot ! Elles sont douces, très douces, mais quelque peu adjointes par rapport à nos belles gaillardes d’ici ! Ah… Les pauvrettes… Victimes soumises de la mode parisienne et de leur passé de sujétion… Bref, patron : vous vous y régaleriez. ” C’est alors que Gary Del Monte, jusque là silencieux, soupira mollement… Puis, dans un geste des plus inattendus, se rua précipitamment vers les toilettes, où le loquet sonna un vil désir de solitude. 
“ Déjà !?! Si peu… Moi qui allait lui raconter la rue St-Denis et les salons de provinces… Tant pis. Mais, il faut voir les mecs pour comprendre les nanas… Ils n’ont qu’elles en tête… Ces virils ne font que machiner sempiternellement les plus fourbes subterfuges pour se glisser sournoisement dans les culottes de leurs femelles ! Ceux qui en racontent le plus, sont évidemment ceux qui en font le moins… Mais bien qu’étranges à première vue, sachez qu’ils sont néanmoins bien braves, nos cousins. Ils vivent dans un monde bien sévère, hiérarchisé de toutes parts, fonctionnarisé jusqu’au papier-cul, départementé jusqu’aux suppositoires, dur… Imaginez-vous qu’ils payent une cotions à leur propriétaire : trois mois d’un loyer qui est déjà fort de prix ! 
- Trois mois !!! Arg… 
- Paradoxalement, ils enfreignent toutes lois ! Ils fument et se stationnent où ils n’ont pas le droit -- 
- Ils conduisent ?!? ” Bêla Woody de sous le divan. 
“ Oui-Da ! Et bien mal en plus ! Ils roulent comme des gars d’Hochelaga pour faire cent mètres, sur une rue étroite qui change trente fois de nom ! 
- Ils fument ?!? Demanda Patry, médusé. 
- Si. N’importe quoi qui n’est pas français, et… N’importe où… Tabac américain à la pouponnière et shite marocain au gym ! J’y enverrais joliment nos fervent enragés défenseur de l’air pur pour une saison où deux, question de leur briser le morale et, surtout… Deux ou trois côtes ! Car c’est un monde dangereux que ce vieux continent : Ça crie BASTON et… Attention la tête ! 
- Il sont donc de véritables révolutionnaires, c’est vrai ? postula Junior. 
- Mythe. Une manifestation, pour la plupart d’entre eux, est devenu une triste occasion de rencontrer des gonzesses… Pathétique. Et puis, six étudiants de CÉGEP acharnées devant la bourse de Montréal à plus d’effet que soixante milles universitaires à la Défense… Blâsés… Il y en a néanmoins des irréductibles… Des vrais anarchistes comme Léo les chantait… De Nantes ou de Marseille, mais si peu… Pourtant ils existent, et il est bon de s’engueuler avec eux dans un bar qui ne ferme qu’à l’heure où il faut chercher les pains au chocolat. 
- Le Français parle toujours nostalgiquement de sa bouffe, pourquoi ? 
- Dernière question pour toi, Junior ! Tu me fatigues, petit... Car ils mangent bien. Tout est ragoûtant, sauf la viande, dont ils ne connaissent pas le bon goût, mais qu’ils sauvent avec des sauces savamment alambiquées … Pour le mieux ou le pire, ils ne prennent pas la peine d’engraisser leurs bœufs aux hormones, pour les rendre plus gras, plus tendres. 
- Mmmm… Gras… Tendre… ” Rêva Le Rastaquouère, les yeux au plafond où se dessinait dans sa tête un bœuf obèse aux testicules hypertrophiés à la testostérone. 
“ Et les souvlakis ? Comment sont-ils là bas ? 
- Ah… Pas de souvlaki, Pêle-Mêle… 
- Pouah ! j’irai jamais ! 
- Non… Ils n’ont pas de Grecs, seulement des Turcs… Mais ceux-ci sont fort sympathiques et ils servent des kebabs : des grosses miches de pain fourrées de poulet bien rôtillé et baignant dans une sauce blanche à l’ail. Digeste, mais un maigre succédané de la tzatziki… 
Gary Del Monte réapparut, l’air manifestement détendu et désireux de poser une question sensée. 
“ Et, c’est quoi le… Le secret avec les Français ? 
- Le secret ? Rien de plus facile ! Tu parles de ton sang amérindien, ton ancêtre mousquetaire, tes chiens de traîneaux dont tu t’ennuies grandement et ton igloo qui doit avoir fondu depuis ton arrivée… Ils rêvent de venir ici et -- 
- Et ils viennent ! Y’en a trop ! Plus moyen d’avoir la paix… dirent-ils tous à l’unisson. 
- Faut les comprendre, les pauvres… Ils ne parlent pas un mot d’anglais ou d’espagnol, alors l’Amérique devient vite très petite -- 
- Ils ne sont rien d’autre que des sales -- 
- Mais non !?! Pensez à Cyrano, aux petites rues charmantes, au passé… Au lieu de bitcher comme à l’habitude… Buvez donc ce bon rouge de Bergerac ! ” Et Mon Marco ouvrit son sac, lançant saucisses, fromages, chocolats, canards, bonbons et bouteilles par dessus bouteilles sauvées des douanes aux mains avides qui se tendaient frénétiquement à lui ! 
“ Assez ! Maintenant, ripaillons ! ” Et ils entonnèrent : 

“ Ce sont les cadets de Ma Commune
De Carbon de Castel-Jaloux ;
Bretteurs et menteurs sans rancune,
Ce sont les cadets de Ma Commune !
Parlant blason, lambel, fortune,
Tous plus nobles que des filous,
Ce sont les cadets de Ma Commune
De Carbon de Castel-Jaloux :
Œil d’aigle, cuirasse de portune,
Moustache de chat, dents de loups,
Fendant la canaille qui fait la une,
Œil d’aigle, cuirasse de portune,
Ils vont, - torchonnés et sans thune,
Seuls, abattu et trop souvent, saoûl -
Œil d’aigle, cuirasse de portune,
Moustache de chat, dents de loups !
Perce-Bedaine et Casse-Tribune
Sont leurs sobriquets les plus doux.
De gloire, leur âme est opportune.
Perce-Bedaine et Casse-Tribune
Dans tous les endroits ou l’on bastune,
Ils se donnent des rendez-vous…
Perce-Bedaine et Casse-Tribune
Sont leurs sobriquets les plus doux !
Voici les cadets de Ma Commune
Qui font cocus tous les jaloux !
O femmes, rouquines ou brunes,
Voici les cadets de Ma Commune :
Sonnez clairons ! Chantez, coucous !
Voici les cadets de Ma Commune
Qui font cocus tous les jaloux ! ”



 

Mon Marco
                          marolidas@hotmail.com
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