LE MAL DU PAYS
par Junior MacO'mmune
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1   -   L a   G e n è s e

   Pouembout est le Graceland de Ma Commune, là où tout a commencé, et là où, un jour, sans doute, nous irons nous établir à nouveau si Dieu le veut, et si les distributeurs de Guru se rendent jusque là-bas avec leur produit. Pouembout, c'est ma ville natale, chérie, et idéalisée. C'est notre Tatooine personnelle, et nous sommes un peu, comment dirais-je, une petite famille Skywalker du Pacifique, parce que je suis une sorte de Luke Skywalker en moins pédé mais qui sans le vouloir a été obligé de quitter la ville de sa naissance, et mon père est une espèce de proto-Anakin, qui, en 1995, a sombré dans le côté obscur, et ma mère est une reine Amidala qui a succombé hélas! aux forces du mal, et Pêle-Mêle est un peu comme le vieux Ben, dans sa tanière, comme vous le verrez. Et Mon Marco est Chewbacca, parce qu'il n'est tout de même pas un simple R2, franchement.
 



De gauche à droite: David Pêle-Mêle, Mon Marco, ma Mère et mon père et
moi devant qui ne tient pas en place au grand dam du photographe.



   Excepté David Pêle-Mêle (qui est à moitié Kanak par sa maman) et Mon Marco (qui est pour un quart Wallisien et un quart Maori), nous sommes tous des « Caldoches », c'est-à-dire, pour ceux d'entre vous qui ne connaissent pas la Nouvelle-Calédonie, descendants des vieux pionniers blancs, qui sont allés là-bas il y a belle lurette et qui n'en sont pas revenus, parce que c'est un putain de beau pays.
   Mon père (le Rastaquouère), ma mère, Mon Marco et moi vivions en communauté à quelques minutes de marche du centre de Pouembout, sur les berges de la rivière. Seul David Pêle-Mêle n'était pas du coin: depuis que j'avais l'âge de raison, il habitait sur la côte est, au nord de Poindimié, donc complètement de l'autre côté l'île... parce qu'il était un rejet. Seul mon père le Rastaquouère conversait avec cet homme. Personne d'autre dans l'île ne s'approchait de sa hutte, et Pêle-Mêle ne quittait d'ailleurs pratiquement jamais ses abords, se nourrissant exclusivement de poulpes (ces bêtes frayaient dedans la lagune à-côté de chez lui). « C'est un bizarroïde, me disait mon père, quand j'avais six ans, mais il est intelligent. Tu verras ça! quand ce sera nécessaire, quand tu auras l'âge requis plutôt que de perdre ton temps à l'école, je le forcerai à t'apprendre toutes les conneries culturelles qu'il sait, et que moi je ne comprends guère: lire, écrire, compter, ces cochonneries-là, quoi! »
   Mon père avait été baroudeur, pilote de jungle, patron de tripot et bien d'autres choses encore. Lui et maman se sont rencontrés sur un baleinier qui chassait au large des côtes des Philippines. Quand maman (qui était harponneur) venait de tirer un de ses cachalots et que le câble ciré manaçait de se rompre, elle criait toujours après quelque mousse pour que quelqu'un l'aidât à soulever le câble, pour ne pas qu'il ne se sectionne sur le plat-bord du navire. Ce jour-là elle appela et ce fut mon père, passager clandestin, qui se rua sur la tourelle du pont pour secourir la mignonne. Mais, comme il avait dû sortir de sa cachette, le capitaine, un Japonais cruel, sitôt le cachalot ramené et découpé, jeta mon père par-dessus bord sans même lui fournir un radeau ou une bouée de sauvetage. Ma mère remonta au lance-harpon, fit pivoter l'appareil vers la passerelle, et fit feu sur le capitaine qui riait parce qu'il avait pensé qu'elle essayait de tirer « l'homme à la mer » pour lui épargner les souffrances des requins. La cage thoracique du Japonais pulvérisée en morceaux (les harpons de baleiniers, à l'époque, avaient la tête explosive, chose qui a depuis lors été bannie par Greenpeace) éclaboussa le pont, et la passerelle de commandement. Une fois le capitaine mort, aussitôt éclata une mutinerie monstre sur le tillac, dont ma mère profita en douce pour aller en douce chercher un zodiac à la cale et des plats anglais surgelés aux cuisines, après quoi elle prit un fusil sur le mur de la cabine du second, et plongea par-dessus bord. Mon père en était déjà à son cinqième requin: son couteau de brousse long d'une trentaine de pouces ne le trahissait jamais, et le vieux Bómouë, un pêcheur de perles mélanésien, jadis peu après le Vietnam, lui avait enseigné comment occire un squale avec un seul coup de couteau dans la gorge, sous les branchies. Quand il entendit le zodiac, il pensa aux gars de Greenpeace et il se dit: « sauvé! » Mais, tout de suite après, il se dit: « Non, pas sauvé. Je zigouille des requins depuis dix minutes: ils vont me noyer! » Heureusement, c'était ma mère qui venait le repêcher. Elle employa le fusil du second pour tirer deux requins qui refusaient encore obstinément de lâcher prise (tous les autres avaient opté pour le repas gratis que constituaient les cinq carcasses de leurs frères tués par papa). Quand ce dernier fut sain et sauf dans le zodiac, il embrassa maman, pour la première fois de leurs vies, et, ensuite, lui emprunta le fusil du second. Il savait où étaient les réservoirs de mazout de ce genre de baleinier, parce qu'il avait travaillé aux chantiers navals, à Singapour, et 64. Une seule balle, miraculeusement tirée avec précision, comme s'il avait disposé d'une lunette avec oscillographe cathodique, et le derrière du navire tout entier explosa comme une boule de feu. Ma mère alors mit en marche le hors-bord, et ils s'éloignèrent en mer (ici mettre le thème musical d'Indiana Jones).
   Ils s'établirent ensemble à Pouembout deux mois plus tard, et je vins au monde sept mois après cet établissement. David Pêle-Mêle me baptisa (il est prêtre Kanak, aussi), et il paraît qu'il y eut fête durant trois nuits dans toute la ville de Pouembout.
   Quant à Mon Marco, c'est un ami de la famille depuis toujours et bien qu'il soit né en Nouvelle-Zélande, il habita à Pouembout, avec nous, depuis le jour de ma naissance. Il est né dans une maison pas du tout comme la nôtre, dans Hobson Street, à Auckland, la cité des voiliers: une maison immense, cossue, magnifique et distinguée. Ses grands-parents venaient de Waiuku et ils étaient Maoris. Sa famille avait fait fortune en 1860 avec l'élevage massif de moutons, et les choses avaient duré jusqu'à la Rébellion des Moutons, menée par des moutons hardis et révolutionnaires qui avaient suivi l'enseignement de Woody, en 1992. Mais à l'époque de la Révolution des Moutons, le cher Marco avait déjà quitté son pays natal pour venir rejoindre le Rastaquouère à Pouembout. Un jour en escaladant nu le mont Eden, il avait eu une révélation, comme cet autre gars, saint Paul. Il avait vu ses amis Pêle-Mêle et le Rastaquouère, en danger, dans une ville des nuages, et il avait abandonné son entraînement, et couru à leur secours. (Effectivement, ce soir-là, en Nouvelle-Calédonie, le fond de l'air était frais, et nous n'avions pas nos K-Way, mais les deux centaines de moutons qui avaient suivi Marco dans son exil nous ont fourni de quoi nous tricoter de jolis pulls, qu'on peut aujourd'hui admirer au Musée d'Histoire Naturelle qui est à Nouméa.)
   C'est David Pêle-Mêle qui m'apprit la géographie de notre Île et qui m'emmena contempler le Coeur de Voh pour la toute première fois un jour avant mon septième anniversaire, et c'est là une vision que je n'oublierai jamais. Il m'enseigna la grammaire, la déduction, la sculpture sur bois, la lecture, le trictrac, et certaines sciences, venues de la nuit des temps, dont on a oublié le nom. (Il préférait vivement la magie shamanique aborigène à la théorie quantique de la superunification.) Woody, notre mascotte, ou notre future mascotte, car cette page Web n'était pas fondée encore, avait quitté sa chère patrie, la Nouvelle-Zélande, et avait rallié Nouméa. Des couturiers tentèrent de le tondre, et il s'enfuit dans les montagnes; mais dès que David Pêle-Mêle entendit cette rumeur il embaucha des Caldoches sans emploi, et les envoya ratisser les montagnes, parce que Woody, le chef spirituel de la Révolution, le Vladimir Ilitch des Moutons, en quelque sorte, était à ses yeux un être exceptionnel, et donc il souhaitait l'adopter. Ainsi effectivement, on retraça l'animal: les Caldoches le ramenèrent, tout bêlant, jusqu'à la hutte de Pêle-Mêle qui les dédommagea en poulpes frais du jour, et depuis ce temps, la symbolique pelote de laine vécut toujours avec David Pêle-Mêle, qui l'associa avec joie à ses travaux complexes de magie shamanique.
   Mon Marco, lui, s'occupait de perpétuer le gène Caldoche (malgré qu'il disséminait aussi en même temps, le gène Wallisien et puis le gène Maori, mais cela ne le gênait pas). Ses méthodes fort savantes avaient de quoi étonner. Il allait voir une jeune fille et chantait devant elle une chanson grivoise (en se déshabillant). Si la pauvre fille disait Oui, Marco pensait: « elle me veut », et le chromosome Caldoche et l'acide désoxyribonucléique faisaient le reste. Si elle disait Non, Marco pensait: «elle me veut encore plus». Si elle le giflait il pensait: « elle me veut tellement, qu'elle est terrifiée et complètement désemparée à la seule idée que je puisse ne pas lui accorder vraiment d'importance ». Si la fille affichait une suprême indifférence, il songeait: « elle me veut, mais socialement quelque chose, ou quelqu'un, l'empêche de laisser libre cours à une superbe passion pour moi ». Comme je l'ai déjà dit c'était une méthode fort savante, et c'était sans issue, pour les demoiselles. Et même je me souviendrai toujours de ce jour où une fille du village de Poya lui a jeté une poignée de sable dans les yeux et l'a frappé sur la tête avec une casserole bouillante et lui a assené un coup de genou dans les gènes Caldoches et l'a piétiné dedans une flaque de boue, puis, enfin, a déféqué sur sa rose poitrine. Lorsqu'il a plus tard repris conscience chez nous, où nous l'avions ramené (et lavé), il a crié: « jamais je n'ai vu une fille me vouloir autant, ça frise la folie, la démesure, la bestialité ». Toutes ces mésaventures agaçaient mon père qui, parfois, nous confiait: « Tout ça rien que pour mettre la viande dans l'torchon! » (N.B. - Le Rastaquouère ne dit pas « faire l'amour »; il dit: « mettre la viande dans l'torchon. »)
 


 2   -   L ' E x o d e

   Un samedi, mes parents sont partis en safari-photo sur la plaine des Gaïacs (région où se situe notre ville de Pouembout), sans moi, parce que parfois ils aimaient les excursions en amoureux, et je me retrouvai confié aux soins de Mon Marco, qui jugea opportun d'aller atteler son traîneau tiré par douze paires de moutons, pour prendre la route du mitan jusqu'au village de Ponérihouen. Je fus étonné au premier abord, mais ensuite, à bien y réfléchir, je trouvai superbe l'idée de profiter de l'occasion pour aller rendre visite à mon bon mentor Pêle-Mêle qui vivait là-bas. Nous partîmes donc. Un traîneau à chiens sur de la neige dure reste un moyen de transport fort lent en regard d'un traîneau à moutons sur de l'herbe luxuriante, chaude et lisse sous le soleil. Marco s'arrêtait, en chemin, pour adresser la parole à des demoiselles qui le voulaient, et qui ne répondaient pas à ses apostrophes joviales... Vers midi et demie nous arrivâmes en vue de la lagune sordide qui jouxtait la hutte de Pêle-Mêle. Une rapide reconnaissance des lieux nous apprit qu'il était absent. Ses deux cafetières rouillées contenaient encore des résidus tièdes, et son chapeau était sur la table, déposé devant un portrait de Louise Michel, ancienne héroïne locale dont le cher propriétaire des lieux était bêtement épris. Mon Marco en déduisit que l'ermite ne pouvait être bien loin, et, armés de bâtons de marche, nous prîmes l'un des sentiers de la forêt, ce qui est épuisant au possible, non pas tant à cause de la marche en tant que telle, mais parce que Marco nomme, systématiquement, et par pur automatisme écologique, chaque variété présente, d'hibiscus ou de bambous, ou de bananiers. Un grand héron passe en silence devant le soleil, ce qui est poétique, mais Marco, vif et alerte, remarque à voix haute: « Héron! », ce qui n'est plus guère poétique, mais bien scientifique. Après avoir eu l'impression de visiter un labo de biologie d'un demi-mille de long, nous prîmes à droite dans une clairière, et nous vîmes enfin Pêle-Mêle.
   Nous le trouvâmes affalé plutôt qu'assis au pied d'un énorme pin colonnaire (une sorte d'arbre assez fuselé originaire de là-bas) et en pleine conversation avec son poulpe favori, apprivoisé et appelé Winnie the Poulpe. Car, avant de dévorer vigoureusement ces pauvres polypes, en effet, Pêle-Mêle avait de temps en temps de délicieuses conversations avec eux. Exemple:
   PÊLE-MÊLE: « Que pensez-vous du Concordat? »
   LE POULPE: « Une vraie honte! C'est Mussolini qui a dû être mort de rire. »
   PÊLE-MÊLE: « Bon! allez! À la casserole! »
   Mais lorsqu'il avait découvert cet invertébré-là, le futur petit Winnie the Poulpe, Pêle-Mêle avait été ému, et touché, parce que la bête n'avait que sept tentacules, alors que tous les autres poulpes en ont huit, c'est connu. « Je suis né comme ça », lui aurait avoué le mélancolique animal. « Ma maman fumait beaucoup d'encre, pendant sa grossesse. C'est peut-être à cause le cela. Je me suis fait dire des bêtises durant toute ma jeunesse, à l'école primaire. » Or donc Pêle-Mêle décida d'adopter le poulpe handicapé, et, depuis ce jour, à eux deux ils consomment de douze à quinze poulpes en santé chaque semaine, ce qui fait, si absolument vous tenez à avoir des chiffres précis, de quatre-vingt-seize à cent vingt pseudopodes par semaine, hé! hé! hé!

   Pendant que je passais une journée oiseuse et agréable avec deux êtres un peu fous mais que j'aimais bien, sur la plaine des Gaïacs, au sud, ma mère et mon père photographiaient des animaux pour faire un album, lorsqu'ils furent pris en chasse pas de sombres individus auxquels ils avaient souvent donné de bonnes leçons.
   Depuis un an rôdait dans l'île un braconnier ingoble et sans feu ni lieu nommé Igor Blaszkewycz. Lui et son acolyte Vukanì (un Papou originaire de la Nouvelle-Guinée) faisaient immodérément, et devant tout le monde, de la contrebande de poulpes, ce qui avait fortement irrité le Rastaquouère. En fait, Blaszkewycz faisait ouvertement sa petite contrebande, précisément parce que, terrifiés, les habitants ne réagissaient pas. Sauf deux habitants: maman et papa. À bord des deux zodiacs, régulièrement, et nuitamment, ils allaient briser les pièges à poulpes installés au fond des lagunes par les affreux, qui ne l'avaient point digéré.
   Un jeep lugubre orné de crânes de lézards surgit des fourrés, et Blaszkewycz se dressa avec sa carabine et commença à tirer coup sur coup. Un pneu du véhicule de mes parents explosa tandis que le jeep des braconniers, conduit maladroitement par Vukanì, les emboutit au beau milieu de la plaine.
   Le Rastaquouère s'écria: « Skabbhe'uatnwanli! », ce qui je crois est pratiquement intraduisible, et qui signifie plus ou moins « Mou d'putain », mais passons. Vukanì, le Papou sadique, dégaina un gros revolver graisseux avec des encoches sculptées sur la crosse, et il se rua sur mon père, en sautant d'un jeep à l'autre. En lâchant son volant, mon père cria à ma mère de sauter du véhicule: Blaszkewycz, toujours dans l'autre jeep, maintenait son volant avec un genou, et la mettait en joue, elle. Maman sauta tandis que Vukanì faisait feu sur le Rastaquouère. Les deux jeeps roulaient à tombeau ouvert même si l'un des pneus de la nôtre n'existait plus, et ma mère roula sur le sol, et trébucha dans une ravine, et, sorti de nulle part, comme un mauvais génie, un serpent qui était tapi par là la mordit sur la cuisse (elle était tombée sur le dos) et fila entre les ronces sans demander son reste, comme on dit dans les westerns. Bien sûr, maman connaissait la technique du garrot, et de la succion du venin qu'il faut ensuite recracher. Mais hélas, cette technique doit absolument être utilisée immédiatement après la morsure, et malheureusement le vil Blaszkewycz fondait droit sur elle comme un enragé à ce moment-là, avec son couteau de chasse entre les dents et une machette dans la main droite.
   Elle affronta Blaszkewycz qui essayait de la hacher menu avec sa machette, et elle savait que le venin s'insinuait plus profondément dans ses artères à chaque seconde qui s'écoulait mais elle avait dû choisir entre s'interrompre, s'accroupir afin de sucer le venin, et le recracher, puis être tranchée en rondelles par le braconnier, ou alors ne pas sucer le venin, affronter l'ennemi, et espérer qu'elle le vaincrait à temps pour ensuite s'occuper du venin...
   Pendant ce temps, mon père s'occupait du Papou Vukanì. Celui-ci, après avoir tiré, et touché papa dans le bras gauche, hurla son cri de guerre et engagea le corps-à-corps, mais ce fut là son erreur et sa perte, parce qu'on peut triompher du Rastaquouère si on lui tire dessus, ou si on l'affronte à la machette, à l'épée, à la lance, au marteau, à la scie sauteuse, au rabot, à l'égoïne, etc, mais quand, par étourderie, on opte pour le combat à mains nues, alors là c'est perdu d'avance, parce que le Rastaquouère a un Totem (c'est-à-dire, un lien mystique sacré avec un animal comme par exemple pour le roi Kull, le Tigre), et son Totem à lui c'est le Gorille... L'Esprit du Grand Gorille lui transmet une fraction de sa force. Je n'ai jamais vu mon père ne pas être capable de déboucher une bouteille de Heinz ou un pot d'aspirine. Alors, si vous avez le malheur de tomber dans les bras velus du Rastaquouère, et ne serait-ce qu'une seconde, les gars, je vous conseille d'être un de ses amis, parce que sinon, pas le choix: sproutch! écrasé, comme un crapeaud sur lequel on frappe, avec une raquette de squash neuve. C'est ce qui advint du Papou.
   Mais, au fond du ravin, Blaszkewycz swingait sa machette avec un entrain sauvage et déchaîné (il songeait à tous ses pièges à poulpe détruits), et maman avait bien du mal à éviter ces moulinets. Comme le braconnier s'apprêtait à lui assener un coup énorme à deux mains elle le déborda sur la droite, parce qu'elle savait que Blaszkewycz était gaucher, et en passant lui décrocha un dur coup de coude dans les côtes, sous l'omoplate. On entendit un craquement. En grognant, le hideux personnage se retourna; il saignait abondamment, mais pas des côtes: de la lèvre (en recevant le coup de coude il avait mordu son couteau qu'il tenait encore entre ses dents comme un fou). Puis maman boxa contre lui, lui martela le ventre, et finalement projeta verticalement un uppercut de tous les diables qui vint cocner juste sous le menton du truand. La lame en acier trempé suédois se brisa, sous le choc, entre les mâchoires de Blaszkewycz, et s'ensuivit une véritable cataracte de sang qui gicla des joues tranchées, puis des gencives déchiquetées, puis de la langue sectionnée. Il titubait et maman lui fracassa le crâne sur une grosse pierre plate... Mon père arrivait à cet instant, mais beaucoup trop de temps s'était écoulé, depuis la morsure, à son grand dam.
   Ma mère n'était pas folle: elle savait pertinemment que le venin du serpent la tuerait, bien assez tôt, et que plus rien ne pourrait à présent l'empêcher. Alors, elle fit la seule, et unique chose qui restait à faire: elle arracha ses pantalons cargo et elle dit à mon père: « Prends-moi! », phrase magique à laquelle jamais dans sa vie le Rastaquouère n'a su résister, (et surtout pas lorsqu'elle venait de maman). Il la pénétra donc par derrière d'un seul coup, et selon lui, il paraît que cela fit un bruit particulier, de succion, comme quand on plante très vite une cuiller, à quarante-cinq degrés, dans un plat de jello. Mes parents n'eurent que le temps de cette ultime étreinte, puis maman rendit l'âme. Ce fut à ce moment que mon petit papa perdit la raison: il sombra, instantanément, du côté obscur de la Force. Et depuis, il est une sorte de monstre sans scrupules qui nous tyrannise, et se fout du tiers comme du quart. Que voulez-vous que je vous dise? Ça arrive dans les meilleures familles. Nul parmi nous n'était là, cet après-midi là, au creux de la ravine, au coeur de la plaine des Gaïacs, quand maman est morte, et personne ne peut comprendre vraiment. Alors, on ne lui reproche jamais d'être devenu un evil dude: ce serait comme d'accuser un vétéran (du Débarquement de Normandie par exemple) d'être un stressé compulsif. Y a de quoi!
 


 3   -   L a   T e r r e   P r o m i s e

   Quinze jours à peine après les funérailles de maman, les papiers étaient signés, les valises faites, les parts dans le terrain de la communauté revendues. Mon Marco décida de venir avec nous, et Pêle-Mêle aussi (mais il insista pour emmener Winnie the Poulpe et Woody qui étaient devenus un peu comme le chat et la mouette rieuse, pour Gaston Lagaffe). Le Rastaquouère prit une dernière brosse: il avala presque trois bouteilles de brandy, et Marco presque une. Pêle-Mêle but un café au lait avec du cognac dedans. Il roula le premier sous la table. Je crois qu'il avait toujours été secrètement amoureux de ma mère. Le lendemain, Mon Marco et moi le mirent dans une malle en cèdre (il était encore ivre mort), pour ne pas avoir à le déclarer, à la douane, et nous allâmes tous à Nouméa, pour prendre l'avion de Pacific Airways qui nous emmenait jusqu'à Tahiti. De là nous prîmes un bateau assez chic jusqu'à Hawaii, et, à Honolulu, il y avait des vols d'American Airlines. Nous arrivâmes enfin à New York, mais là, les gens parlaient anglais, et le Rastaquouère, irrité, décida d'un coup que ça le faisait chier, et nous montâmes en train jusqu'à une ville accueillante qui se nomme Montréal. Pêle-Mêle se réveilla, et il fut émerveillé de ne plus être à Pouembout. Il s'adapta vite aux joies de la civilisation, comme par exemple: les Second Cup ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre. C'était en février 1996. Nous avons visité des logements, et le Rastaquouère loua finalement deux étages, dans un duplex assez propre. Au premier, il installa ce que nous appelons le Bureau, c'est-à-dire les locaux de Ma Commune (car évidemment, à notre arrivée à Montréal, vous l'aviez deviné, il fut décidé de la fondation de ce site Web) tandis qu'au rez-de chaussée on meubla de confortables petits quartiers personnels. Au sous-sol, on installa une douve, pour Winnie the Poulpe, et un enclos pour ce bon vieux Woody, notre mascotte... Il y avait aussi une pièce toute en miroir avec des menottes fixées sur le sol, dont le Rastaquouère seul avait la clef, et que Pêle-Mêle baptisa Le Tombeau De La Femme Inconnue (d'après un livre de Montherlant, m'a-t-il dit). Je plaçai une photo encadrée de maman dans le hall d'entrée, et une autre sur le mur de ma chambre. Voilà comment Ma Commune a débuté. « The rest is History », comme disent les Américains, quand ils veulent parler des chose insignifiantes de leur culture. Mais nous, nous ne sommes pas insignifiants: nous sommes des mythes! Chacun d'entre nous peut représenter, par exemple, un élément du Grand Oeuvre alchimique. Le Rastaquouère, c'est le plomb. Pêle-Mêle c'est le sel de mercure. Le vif-argent, c'est Mon Marco. Et, sans vouloir exagérer mes origines et ma pureté, moi, je suis l'or. Au fil des ans, pour ceux qui nous lisent depuis belle lurette, nous avons séduit d'autres magnifiques collaborateurs: Seb Patry (bronze), Véro (béryl), La Vésicule, also known as: Le Français (acide sulfurique), Ben Mohammed Med, du Club Med (nickel), Gary Del Monte (carbone) et des artistes invités. Les passionnés de l'occulte apprécieront de savoir que, tout comme avec l'oeuvre de Tolkien, une relecture appliquée et une exégèse de tout ce qui est publié sur ce site et astucieusement codifié, permettait de mettre à jour des vérités maçonniques très secrètes. Maintenant, amis lecteurs, voilà. Vous savez tout, et vous savez comment ce bon petit site Web a commencé. Tout le reste (de 1996 à aujourd'hui) se trouve dans nos archives et est accessible par un clic de souris!
 
 

Junior MacO'mmune 
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