LES MONDES NAZIS
par David Pêle-Mêle
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     Les univers de fiction se comptent, dorénavant, par centaines, et ceux qui les élaborent s’inspirent (c’est tout à fait légitime) du monde dans lequel ils évoluent eux-mêmes. Ils prennent pour première base de travail, ce monde-ci, avec ses qualités et ses défauts, avec ses particularités, heureuses ou nuisibles. Ils s’inspirent de sa géographie, de sa politique, de son économie, de ses formes de gouvernement, et de la mosaïque de ses religions. Pas de problème jusqu’ici. Là où ça se gâte, c’est lorsque des idées reçues s’infiltrent dans ces processus de création, afin de les corrompre de l’intérieur, et d’en faire, en quelque sorte, des vitrines haineuses déguisées en divertissements. Pas facile de discerner ces caméléons au premier coup d’oeil, puisqu’ils sont parfois noyés dans un décorum féerique aux tons flamboyants et pouvant paraître anodin à beaucoup d’amateurs, sauf les plus méfiants...

   Paranoïaque? C’est possible. Qu’on en juge! À force de regarder de trop près, il pourra se produire deux choses diamétralement opposées: on peut commencer à percevoir ce qui est vraiment, ou commencer à voir ce qui n’existe aucunement, comme dans le cas de ces fameuses toiles abstraites, très floues, où l’on est censés découvrir soit un voilier, soit des chevaux... ou soit des chimères (à force d’essayer trop intensément).

   Dans n’importe quel monde « fictif », il y a des prêtres de ceci et des grands-prêtres de cela. On retrouve par exemple dans le monde de Warhammer des prêtres d’Arianka et des prêtres d’Ulric, même de diaboliques prêtres de Slaanesh... Hélas pourquoi toujours des « prêtres » seulement? Pourquoi pas des « bonzes », des « imâms », des « rabbins », et tout? car puisqu’il s’agit là de mondes complètement fictifs... les guides spirituels peuvent bien s’appeler n’importe comment! Ce qui est énervant, à la longue, c’est que le chef religieux-type du Judaïsme (c’est-à-dire le rabbin) demeure un personnage exclusivement cantonné à la culture juive; que le chef religieux-type de l’Islam (c’est-à-dire l’imâm) demeure une figure exclusive à la culture islamique; que le chef religieux-type oriental (c’est-à-dire le bonze) n’outrepasse jamais le stade folklorique de maître à penser oriental; mais que tout ce temps durant, le chef religieux-type chrétien (le prêtre), lui, soit transposé partout et employé dans toutes les fictions, toutes les allégories, et qu’il ait, décidément, transcendé le simple « folklore » du Christianisme... Quand on pense que même sur la planète natale du logique monsieur Spock, la directrice spirituelle est une « grande-prêtresse », non une grande-rabbine, ou une grande-imâmesse. C’est fou! Vulcain est une planète i-ma-gi-naire (eh oui, Trekkers, désolé), alors, qu’est-ce que le Christianisme aurait de plus à y voir que la religion juive ou que le Taoïsme ou le Bouddhisme ou l’Islam? L’on ne songe pas à ces choses-là mais c’est l’indicateur infaillible d’un préjugé tenace. Et Roddenberry était Juif. Pourquoi n’y a-t-il pas pensé?

    Le monde de Greyhawk est aux trois quarts Blanc, et de type anglo-franco-germanique, ou « Arthurien ». C’est une sorte d’Europe de l’Ouest médiévale à l’infini, dans toutes les directions, où règnent monarques barbus par-dessus monarques barbus et ou s’affrontent toujours paladins par-dessus paladins (les « paladins » étaient historiquement des chevaliers de la cour de Charlemagne). Hormis une demi-douzaine de provinces (minuscules) qui portent des noms plus ou moins exotiques (par exemple: Abbor Alz), afin d’amener juste un petit peu de pittoresque à toute cette trame, le reste du continent Greyhawk propose un espace purement aryen... Heinrich Himmler et ses meilleurs amis (c’est-à-dire les SS), pour sûr, auraient franchement adoré ce délicieux monde-là.

   Le monde de Stormbringer est, lui aussi, relativement nazi... Elric l’albinos est un héros on ne peut plus « blanc » (pardonnez ce curieux pléonasme), et son île, sanctuaire inviolé et d’ailleurs quasi inviolable de la race melnibonéenne, est sise au centre du monde. Les diaboliques sorciers de Pan Tang, île rivale, sont des espèces de Chinetoques puants, sans moralité, et qui ne savent que tuer et piller à tout va. Les landes appelées Weeping Wastes sont le rupestre berceau de sous-hommes coriaces du type Cro-Magnon, alors que toutes les contrées de Shazaar, de Yu, et d’Oin, manifestement, sont un terreau de sales Perses, ou de sales Turcs ou de sales Jaunes et autres essences mongoloïdes. Les royaumes côtiers de Vilmir et de Lormyr (avec leurs jolis noms à consonance celtique), bien entendu, sont les plus prospères, exception faite de Melniboné elle-même.

   Sur la carte ci-dessus et les cartes subséquentes j’emploie les couleurs suivantes afin de dire quelle race occupe quelles frontières: ROSE pour les races blanches; VERT pour les races sémitiques; BRUN pour indiquer les races noires; JAUNE pour les races orientales; ORANGÉ pour les races latines; GRIS pour les sous-hommes / hommes de Cro-Magnon; VIOLET pour les races monstrueuses (démons, hydres, et cetera). Les mers et les océans sont en bleu, et les zones généralement inhabitées sont en noir.

    Le vrai chef-d’oeuvre absolu de tous ces mondes nazis est, sans contredit, le Old World, du jeu Warhammer. Ce monde ne se cache même pas d’être pro-aryen... C’est très simple, au fond: il n’y a que six royaumes, dans ce monde édifiant : la France, l’Espagne, l’Italie, la Hollande, l’Allemagne, et la Pologne. Tout le reste a été baptisé Chaos Wastelands, et regorge de créatures grotesques décidément monstrueuses. En ordre décroissant et depuis le meilleur État en se dirigeant vers le pire, l’on trouve, d’abord, évidemment l’Allemagne glorieuse, siège de l’Empire, et plus puissant de tous les Royaumes. Ensuite vient le petit royaume nordique de Kislev qui est la Pologne, terre des cheveux roux et des Vikings en tous genres. Puis, à l’ouest de l’Allemagne, vient la France, qui fait pâle figure, comparée à son magnifique voisin. En quatrième place vient la Hollande, uniquement représentée par la grande cité portuaire de Marienburg (Rotterdam et Amsterdam confondues, pour les intimes). Au cinquième rang, nous retrouvons l’Espagne, royaume désolé, à l’écart des sentiers battus, parsemé de quelques (trois) villes provinciales sans intérêt. Et finalement, au bas de la liste, vient l’Italie, contrée maléfique, s’il en est, et où se dresse la forteresse immense de Skavenblight, une affreuse citadelle d’hommes-rats, rien de moins! L’on voit là quelle belle opinion les concepteurs de Warhammer ont des « Ritals »... À tout le moins, le royaume d’Italie figure au nombre des six royaumes dits civilisés, car, à l’extérieur de ce très sélect groupe européen, c’est le néant bestial... La zone sud-sud-est qui est appelée commodément « Border Princes », est un bizarre gruyère politico-religieux, autrement dit les Balkans, cette poudrière malsaine, selon le mot de Bonaparte... Lorsqu’un personnage quitte l’Empire vers le sud-est, autant dire qu’il s’en va se faire voir chez les Grecs, et l’on ne le reverra sans doute jamais vivant, car il rôde par là des créatures répugnantes, boucs sur deux pattes, hommes-sangliers, orcs, démons, bêtes sans nom, hydres et bestioles de la forêt. Pas vraiment le Club Med, en un mot. Et, encore plus au sud, l’Afrique: grossier nid de vipères, de nécromanciens machiavéliques, de cannibales illettrés, anthropophages et animistes, incestueux et païens. Envoyons-leur le Reichmarshal Rommel!

   La revue mensuelle de la gamme des produits Warhammer s’appelle White Dwarf, ce qui est une simple anagramme de l’expression de ralliement « White Power ».

   Il n’est même pas besoin d’aller nager un petit peu du côté de l’inconscient afin de se rendre compte qu’un D majuscule ressemble beaucoup trop à un P majuscule. Secundo, deux consonnes du mot Power, soit le « w » et « r », reviennent, telles quelles, dans le mot secret Dwarf. Et tertio, la voyelle « o » de Power se transforme simplement en la voyelle « a », tandis que le « e » de Power devient un « f » dans Dwarf (puisque le titre de ce magazine est fait en lettres dites carrées, rien ne ressemble davantage à un E qu’un F).

    Le monde de Conan le Barbare est l’univers fictif le moins nazi que j’aie déniché, mais c’est encore loin d’être honnête. Il y a, là, une proportion harmonieuse de nations riches et prospères: Zamora (l’empire byzantin), Corinthia (le monde hellénistique), Turan (le sultanat ottoman), Zingara (l’empire génois), Ophir et Koth (l’empire austro-hongrois), Cathay (la Chine), Iranistan (l’empire perse), Stygia (le monde pharaonique), puis Shem (le Proche-Orient ancien)... Au nord, comme quoi il est plutôt difficile de s’en passer, on retrouve les nations « blanches » Vanaheim, Aesgaard, Hyperborée, Cimmeria, d’où sont issus les plus féroces gaillards aux cheveux blonds ou rouges, ainsi que Conan lui-même, qui a les cheveux noirs, cependant, pour que personne ne le confonde avec Rahan, le Fils des Âges farouches. Ce qui est moins rose dans le monde de Conan, c’est tout ce que l’on voit, géographiquement, au sud de Kush (qui équivaut au Soudan): une série ridicule de territoires minuscules, peuplés de Noirs ignares, pratiquant des religions puériles, et sans aucune hospitalité, dévorant les aventuriers qui se pointent chez eux (sauf Conan, parce qu’il sait se défendre et qu’il est Blanc). Ces tribus vénèrent toujours un diable abject et jettent à leurs ennemis des sortilèges de magie noire vaudoue qui fonctionnent rarement, parce que ces sales nègres ne sont même pas foutus, semble-t-il, de réussir une invocation satanique relativement simple...

   Il y a aussi, à l’ouest de l’Aquilonie, une énorme bande de terres incultes puis de jungle qui s’apparente (plus ou moins) aux Weeping Wastes d’Elric, et qui est appelée: Royaumes Pictes. Les Pictes qui y vivent sont de purs barbares aux moeurs bestiales et sanguinaires; en outre, ce sont des avortons gluants et imbéciles, des hommes-singes, oui, et d’ailleurs, notre héros (Conan) n’a de cesse de les apostropher ainsi: « You, mongrelman! »

   Non contents de haïr les nègres, les putain d’Arabes, et les Chinetoques, les intolérants concepteurs de Warhammer écorchent aussi les gais. J’en veux pour preuve cette comique illustration tirée du jeu original, et qui représente un petit Halfling, un « semi-homme », créature d’un goût douteux, ni très « hot », ni très virile, et dont personne ne souhaite endosser le rôle, à moins d’être fou (ou d’être, justement, un homosexuel).

   En train de mâchouiller je ne sais quel foutu saucisson à l’ail (cela n’est qu’une excuse graphique pour le montrer en train de sucer), l’air abruti, l’oeil globuleux, la joue gonflée: bref, un sale pédé de mes deux! Décidément, ce jeu, quelle farce!

   Après les jeux de rôles, il y a leurs rejetons, ou plutôt leurs ersatz inintelligents, les jeux vidéo. Les univers supports de ces derniers ne sont pas moins nazifiants que ceux de jeux de rôles divers (à l’exception d’un certain paladin de race noire qui a beaucoup fait parler sur le Web, et qui, faute d’être significatif, est un concept audacieux). Le personnage de jeu vidéo-type est Blanc, chevelu, occidental, et relativement vulgaire; ses adversaires par contre sont des sous-hommes à peau verte (les Orcs, ou « Orques », représentent les Noirs et autres Aborigènes, au même titre que, dans Star Trek, les Klingons représentaient les Soviétiques), sous-hommes bestiaux, grossiers, orduriers, illettrés, et brutaux. Il convient, comme le préconise la philosophie néo-nazie, d’exterminer ces ethnies inférieures, à gros coups d’épée magique, ou de boules de feu purificateur : chaque « tableau » du jeu est décidément une sorte de « chambre à gaz » au sens figuré, mouroir cathodique où des héros occidentaux neutralisent tout ce qui n’est pas occidental, Blanc, et civilisé. Très édifiant, WOW.

    Blizzard est la compagnie qui élabore et vend ces jeux, et qui empêche les autres firmes d’écouler les leurs. À l’instar du terme White Dwarf, l’expression Blizzard n’est peut-être pas tout à fait candide et innocente. Dans BLIZZARD, il y a le vocable « Blitz » presque en entier (de blitzkrieg), et, par ailleurs, en plaçant un miroir devant le mot BLIZZARD, on peut voir le sigle des SS au centre exact du mot, décalé d’à peine quarante-cinq degrés en sens horaire. C’est donc ça, du « subliminal »? Subtil, dites donc!

   Du blizzard, c’est blanc, et ça vient du nord. Il n’y a pas de blizzard aux Philippines, en Arabie, en Afrique, au Venezuela, au Pakistan, dans la bande de Gaza, en Malaisie, au Brésil, en Syrie, au Cambodge... En fait il est moins long d’énumérer les pays où IL Y A du blizzard: Angleterre, Irlande, États-Unis, Canada, Allemagne, France, Benelux, Suisse, Autriche, Pologne, Russie, et les pays scandinaves. C’est tout. Ah, oui, on trouve un peu de blizzard en juillet et août sur l’extrême sud de l’Argentine, mais est-ce pertinent?

   Et que penser, en terminant, de l’acronyme ZOG (Zionist Occupied Government), si cher aux néo-nazis de tout acabit, et qui, de façon particulièrement insolite, se trouve répété, périodiquement tel une sorte de mantra, autant dans le jeu de rôles Warhammer que dans la gamme des jeux vidéo Warcraft de la firme Blizzard? Lorsque dix-sept coïncidences se stratifient les unes au-dessus des autres, comme ça semble être le cas ici, je n’appelle plus ça des coïncidences, j’appelle ça un « pattern ». Pensez-en ce que vous voudrez.

Suki plays with Leo
Sacha plays with Britt
Adolf builds a bonfire
Enrico plays with it

(Peter Gabriel, Games Without Frontiers)

 
David Pêle-Mêle 
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