PERSÉE HISTORIQUE
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par David Pêle-Mêle
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   Le roi de l'île Polydecte était tombé amoureux de Danaé, car celle-ci était toujours aussi canon, bien qu'elle frisât maintenant la quarantaine. Afin d'éloigner le fils qui le gênerait dans ses avances, le roi parla des Gorgones au jeunôt, et lui fit miroiter le défi hypothétique d'aller trancher la tête de l'une d'entre elles. Les Gorgones n'avaient jamais rien fait à Persée qui justifiât de les décapiter, et il n'en fit rien. Mais quand le roi donna dans son palais une grande réception en l'honneur de son futur mariage, Persée, qui avait été invité pourtant, ne fut pas admis en la salle de banquet, faute d'avoir un riche présent à offrir à sa maman, qui serait reine. L'orgueil du jeune âge fit bouillir le sang de Persée: il tabassa les gardes, et fit irruption à la cour en proclamant haut et fort qu'il irait tuer l'une des Gorgones et qu'il rapporterait la tête en cadeau d'épousailles. Il mettait quiconque au défi de produire, à son retour, un présent plus glorieux.
   Les Gorgones étaient des créatures terrifiantes et presque immortelles, des bêtes à queues de scorpion qui crachaient du venin et dont le regard pétrifiait sur place quiconque osait les regarder. Leur peau était couverte d'écailles noirâtres, et leur chevelure n'était rien moins qu'une masse grouillante et visqueuse de serpents. « Charmantes créatures! » pensait Persée en quittant Polydecte, le front haut. Il se demandait comment il allait bien pouvoir s'y prendre pour abattre une bestiole qu'il ne pourrait pas regarder en face.

 *

   Quelques jours plus tard, sur une route de Grèce, Persée fit la rencontre d'un étonnant voyageur. Personnage fort sympathique et de carrure athlétique, relativement jeune, bronzé, svelte, le poil au menton, vêtu d'une courte tunique de cuir pâle, chaussé de sandales ailées, et coiffé d'un bonnet mystérieux. Persée lui demanda s'il se rendait à Delphes. L'autre répondit que oui, et ils s'emboîtèrent mutuellement le pas. L'étranger semblait avoir pris immédiatement Persée en affection et se mit à lui offrir toutes sortes de cadeaux somptueux. D'abord, un magnifique bouclier fait du plus pur argent poli qui se puisse trouver. Ensuite, une paire de sandales ailées identiques aux siennes. Puis un glaive, étincelant, arme excellente, digne d'un dieu de l'Olympe. Persée ne put accepter immédiatement, mais le voyageur insista, et lui dit qu'il serait vraiment un idiot de ne pas sauter sur d'aussi nobles cadeaux. Le jeune homme céda donc à toute cette prodigalité, enchanté. Le glaive aussi était enchanté; un seul coup viendrait à bout du plus monstrueux démon de l'Hadès, sans lui laisser la moindre chance. Les sandales permettaient à quiconque les portait de marcher sur les courants d'air, ou sur le souffle du vent, et, donc, de se déplacer à la vitesse de ces éléments. Le bonnet avait le pouvoir de rendre instantanément invisible. Toutes ces vertus, ces pouvoirs, ces objets d'une valeur inestimable, Persée les découvrit au fur et à mesure qu'il les employait, et ne manqua pas de s'en émerveiller à chaque fois. Il avait surtout du mal à concevoir qu'on pouvait lui donner tous ces trésors sans lui demander d'accomplir une tâche merdique en retour.
   « Ne t'en étonne donc point, disait le voyageur. C'est que Zeu... haem, harf! harf!...
  — Je vous prie de m'excuser? fit Persée, que disiez-vous?
  — Euh, rien, balbutia l'autre, je suis parfois bègue.
  — Bizarre! Vous m'avez l'air en bonne santé.
  — Je le suis, d'ailleurs, et je... Oh! Delphes, regardez! »
   C'était Delphes, flanquée des deux immenses Thermopyles qui lui fournissaient l'eau chaude.

 *

   Un important arrivage de vin de Macédoine encombrait les caves de l'Olympe, empêchant Héphaïstos de travailler bien à son aise. Il s'en plaignit à Zeus, exigeant que ces vins soient bus au plus vite ou alors acheminés vers les dépendances divines. Zeus, comme pour éluder la question, dit simplement: « Mettez-moi ces tonneaux en perce... » Or, son intendant ayant compris « mettez-moi ces tonneaux en Perse », ce fut l'empereur Xerxès et toute sa cour qui se régalèrent aux frais de l'Olympe. Quand il eut vent de la chose, Zeus se contenta de hausser les épaules et de soupirer lentement. Il avait autre chose en tête pour le moment, car Hermès était sur Terre, en mission secrète, et devait livrer à Persée les divers cadeaux que les Olympiens lui destinaient. Il devait guider ensuite le jeune homme (qui se trouvait être son demi-frère) vers le sombre et puant repaire des Gorgones.
   « Puisse ce garnement d'Hermès ne pas se trahir pour nous tous, grommelait Zeus. Mieux vaut pour Persée qu'il ne sache pas encore de qui il est le fils naturel.
  — S'il est intelligent, dit Athéna, ce dont je ne doute pas, il saura sûrement deviner de par lui-même, au vu de semblables cadeaux, qui le protège, et pourquoi.
  — Hmr ! fit Zeus, bien parlé, ma fille. Et puisque tu es si réfléchie et prévenante, je t'ordonne d'aller attendre Hermès et Persée sagement devant le repaire des Gorgones, et d'aider ton demi-frère dans sa tâche, s'il le requiert.
  — Bien entendu, mon père. » Et Athéna se retira.
   L'oracle de Delphes, auquel on pouvait habituellement se fier, avait assuré Persée qu'il réussirait dans son entreprise, aidé par deux protecteurs. Le mystérieux voyageur était certainement l'un de ces protecteurs, mais où était l'autre? L'oracle également avait donné à Persée une « liste d'épicerie » absolument surprenante d'endroits auxquels il devait se rendre. Dans l'ordre, sur la liste, il devait aller à Dodone pour trouver ceci, voir les Grées pour savoir cela, parler aux nymphes du Nord, se hâter vers le pays des Hyperboréens, acheter une besace magique et enfin traverser l'Océan pour trouver le repaire des trois épouvantable soeurs Gorgones.
   Pour faire d'une histoire longue une histoire courte, il fit tout cela, et davantage: il se constitua une escorte de quelques filles alléchantes, et fit la fête jusqu'aux petites heures du matin, comme on s'en doute. Hermès aussi en profita, y mettant beaucoup d'emphase (puisqu'il était en mission officielle) et sachant pertinemment qu'il ne retrouverait pas de sitôt semblable occasion. Le lendemain ils rencontrèrent la déesse de la sagesse, déguisée en bergère et tenant bâton en main. Elle les guida sur les derniers milles qui menaient au fameux repaire.
   « Tiens! dit Persée, mon second protecteur est assez mignonne! Comment te nommes-tu, petite? »
   Hermès pouffa en lisant dans les yeux froids de sa soeur. Athéna pensait: « Décidément, ce garçon est bien le fils de son père. »
   La tanière des Gorgones tenait à la fois de la caverne et du terrier; des racines rougeâtres sortaient de terre çà et là et se tordaient lentement, pour se dégourdir; l'obscurité était aussi dense que dans la tombe d'un pharaon nubien. Hermès alluma une torche et commanda à son bonnet de le rendre invisible. Une torche se promenait donc toute seule dans les airs et plaquait partout des ombres menaçantes. Athéna s'était postée à l'entrée de la caverne et n'en bougeait plus. Elle faisait face à l'extérieur, afin de ne pas risquer de voir les Gorgones qui se réveillaient justement. La torche volante les impressionna fort et elles ne surent pas quoi penser à son propos.
   Tour à tour, les trois soeurs s'aspergèrent la tête d'eau noire et s'ébrouèrent pour retrouver toute leur lucidité. Elles dormaient depuis seize ans et se trouvaient passablement courbaturées. L'une d'entre elles avait un torticolis.
   Caché derrière une grande colonne, Persée hurla:
   « Hep, Gorgone! Viens un peu par là, espèce de putain vérolée!
  — Bravo, fiston! murmura Zeus de haut d’un nuage. Fous-moi-lui une bonne raclée...
  — Schhh! », siffla la révulsante chose en rampant vers Persée et en faisant craquer les jointures de ses doigts griffus.
   Loin d'être le dernier des imbéciles, Persée regarda dans son bouclier en argent poli. Lorsque la bête s'approcha de la colonne et commença de la contourner, il la vit, mais ne fut pas pétrifié: il ne regardait pas la véritable créature mais bien plutôt sa projection Internet reflétée. Ah ça! elle avait vraiment une sale bobine, la Gorgone! Pouah! Et il lui coupa le cou avec son glaive.
   « Enchanté d'avoir pu faire votre connaissance! », dit-il en jetant la tête dans sa besace magique et en esquissant quelques pas de danse pour se mettre hors de portée des griffes des deux autres soeurs. Il sortit ensuite de la grotte, suivi d'une torche volante. Le pire était fait.
   « Pour les formalités, petit, tu sauras fort bien te passer de notre aide, dit Hermès.
  — Merci pour tout, les aminches! »
   S'envolant ensuite grâce aux sandales magiques, le jeune Persée reprit la direction de l'île Polydecte, ne manquant pas toutefois d'effectuer un bref détour par la côte africaine, parce que qu'à Délos les taxes étaient très élevées sur les têtes de Gorgones. En Afrique, justement, une princesse prénommé Andromède avait été enchaînée à un rocher par son peuple, dans l'espoir d'apaiser la fureur d'un Serpent de mer. Persée, en sa qualité de héros grec, se sentit obligé de l'aller secourir, comme ça, pour la forme.
   « Stupides coutumes ancestrales », commenta-t-il froidement. Et il délivra la princesse, tout en laissant admirer la tête de Gorgone au monstre marin qui se transmuta instantanément en une oeuvre d'art d'un réalisme saisissant (Praxitèle surgit d'ailleurs brusquement de derrière une saillie, et signa le monument.)
   Andromède était loin d'être ravissante, au mépris de toute vérité dite historique, et le pauvre Persée avait l'habitude de trousser des jeunes filles de moins haut lignage mais de meilleure tournure que la princesse. Il refila Andromède à son cousin Thésée, héros athénien, en prétextant de lui faire une farce. Thésée fit entrer la princesse chez les vestales, lui assurant une rente de dix sesterces par mois si elle ne venait plus le voir.
   « Ce cher petit ringard, pensait Thésée, je lui revaudrai ça! »
   Au loin, Persée mettait pied sur sa bonne vieille île et se faufilait, invisible, entre les gardes du palais, jusqu'à la salle de banquet. La cérémonie était commencée. Debout dans le vestibule et redevenant visible, Persée cria: « Or, oyez, gens de peu de foi! Voyez la Gorgone... Je lui rompis le col: je ne suis point couard. Qui dit mieux? Une fois? Deux fois... »
   Subitement, alors que trois cents paires d'yeux le regardaient fixement, il sortit la tête de sa besace magique et la leva bien haut. Tous furent transformés en statues de pierre, et la scène de ce banquet resta figée à tout jamais dans l'éternité.

 Ici s'achève cet épisode. Persée connut bien d'autres aventures surprenantes, il se maria même avec une fille de Corinthe et eut un fils, Electryon. Beaucoup plus tard, du fils d'Electryon, naîtra Hercule. Ça ne finit jamais, les gars hot. On en a toujours au moins un dans le décor, heureusement.

 FIN

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David Pêle-Mêle 
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