QUELQUES PHOTOS À LA PLUME
par David Pêle-Mêle
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Je voulais, depuis longtemps, faire ce que je vais faire maintenant: de petits textes, mais sans images. C'est pas parce que ça s'appelle le Web qu'il faudra toujours s'embêter avec des tonnes d'images informatisées... On crève. Télécharger une image, ça donne chaud. J'ai pris mes photos sur un vieux calepin. 
 




I

Avenue du Parc. Décembre. Une petite fille de neuf ou dix ans se tient debout, dehors, à la sortie de la pharmacie, et offre quelque chose aux gens. Quand je passe devant elle, j'entends:
   "Voulez-vous m'acheter du chocolat aux amandes? C'est pour avoir notre fête de Noël, à mon école. C'est deux dollars chaque.
  - Du chocolat? J'en prends un! Tiens, voilà.
  - Est-ce que vous en voulez deux?
  - Deux? Nope!
  - Quoi?
  - Nope: c'est comme ça que les Américains cons disent non.
  - Vous êtes un Américain con?"

 II

Boulevard Saint-Laurent. Frank et moi revenons de prendre un bol de café Dieu sait où. Je dis: « La vie, en fin de compte, c'est mal scénarisé. C'est un peu comme un immense, un colossal film de série B, mais avec sept milliards d'acteurs, qui jouent en simultané, sur un unique plateau de tournage gigantesque qui se nomme la Terre. Et c'est un film qui dure depuis toujours et qui ne se terminera peut-être jamais. » Frank se gratte le menton. « Ça n'est pas un film si nul, admet-il enfin. C'est même une superproduction: n'oublions pas qu'il y a Robert De Niro là-dedans. »

 III

Marco et moi sortant d'un party, il y a de cela quelques années, parce que nous avions rendez-vous ailleurs dans un bar... Alors que nous sommes déjà sur le trottoir une voix familière nous interpelle du haut de l'escalier. Nous regardons. Ce sont Waleska et son amie, la grande fille taciturne qui n'avait pas prononcé plus de dix mots de toute la veillée. Waleska nous dit au revoir. Et puis, sa copine mystérieuse lance, sans prévenir: « Passez une bonne fin de soirée! Et prenez garde... aux louves! »

 IV

N'est-ce pas parfait, une grand-mère comme ça? Elle nous fait le récit de la naissance d'Esther. C'était chez eux, à la maison, sans médecin, sans sage-femme, avec juste grand-papa qui avait tout bien préparé: les langes, l'eau chaude, et cetera. Il commençait à avoir l'habitude, grand-papa; c'était son troisième enfant, déjà. Et puis tout s'est extraordinairement bien passé. Et très rapidement. Comme une lettre à la poste. Comme dans du beurre. La petite Esther prend à peine quatre minutes à venir au monde. On coupe le cordon. On lui fait un brin de toilette. Elle ne pleure déjà plus! On la lange. Et grand-papa, qui n'a presque servi à rien, de demander, anxieux:
   « Et maintenant? Que faut-il faire?
  - Maintenant, mon pauvre garçon, lui répondit son épouse, tu peux aller te coucher. »

 V

Durant les pannes occasionnées par la calamité du verglas, Marco et moi sommes dans ce petit bar sans électricité, un vendredi soir. Il n'y a que dix ou quinze clients. Le feu brûle dans l'âtre, et il y a des lampions partout... Soudain, les lumières, la musique, tout revient. Les clients crient des hourras... Marco sursaute, vide son verre cul-sec, et dit: « Allons-nous-en! Trouvons un bar où il fait encore noir.     - Gimme a place with no power! »

 VI

Rencontré Philippe et Fred déjeunant sur la rue Duluth. Philippe dit qu'il est levé depuis huit heures, ce matin, et qu'il a tout de suite avalé un grand verre de whisky.
   « En te levant? Un grand verre? Comme Churchill?
  - Exact, répond-t-il.
  - Tu risques de devenir écrivain. Fais gaffe!
  - Il l'est déjà, dit Fred. Écrivain et alcolo...
  - L'un ne va pas sans l'autre, dis-je.
  - Faux! s'insurge Philippe. Il y en a de sobres.
  - Ah oui? Nomme-m'en un. Rien qu'un!
  - Nietzsche.
  - T'as vu ce qui lui est arrivé, à force de ne pas boire?
  - Il est devenu fou, conclut Fred.
  - Mon cher Philippe tu as de bien meilleures chances que moi pour réussir en littérature: tu bois déjà. Moi, je bois peu. Et beaucoup trop peu, même.
  - On a vu ça l'autre soir, au show de Balt, ricane Fred.
  - Mais, mais, pourtant, j'ai bu!
  - Oh oui, absolument. Deux gorgées? »

 VII

Avec Virginie, l'une de nos toutes premières conversations. Nous étions deux fans de Boris Vian, et j'expliquais alors qu'un certain personnage de Vian s'appelait Peter Gna. Virginie ne me croyait pas et riait. C'était par trop ridicule... Peter Gna? Nous étions morts de rire tous les deux, et je persistais: oui! oui! je le jure! Elle ne faisait que rigoler, rigoler et rigoler. Le mot « Gna », c'était trop pour elle. Finalement, elle attrapa le hoquet. Et lorsque nous nous sommes revus, j'avais emmené le bouquin. Je lui trouve la page et elle s'écrie: « C'est vrai! Peter Gna! - C'est imprimé noir sur blanc! » Et voilà le hoquet qui la reprend.

 VIII

Quatre heures du matin. Extirpés d'un party bruyant avec Vincent et Sébastien le Français. Je demande si quelqu'un n'a pas vu l'être subversif connu sous le nom de Fred.
   « Il est encore là-haut! lance Vincent. Tu ne l'as pas croisé en sortant?
  - Non. Mais je vais retourner lui dire au revoir... J'ai pas revu Lara non plus.
  - Elle est toujours là-haut également, de renchérir Vincent. Elle est roulée en boule dans un grand fauteuil et elle dort.
  - Je ne puis me permettre d'aller embrasser Lara si elle est dans un fauteuil et qu'elle est roulée en boule et qu'elle dort.
  - Personne ne le peut, » conclue Vincent.

 IX

Une jeune femme pleine d'entrain, aux cheveux courts et bouclés, portant une ample chemise rose, usée, me demande si je n'aurais pas « un petit peu de monnaie ». Bon, allez, je fouille dans mes poches tout en n'oubliant pas de la prévenir: moi-même, je suis l'homme le plus pauvre de Montréal.
   « Non non, c'est moi! s'écrie-t-elle aussitôt.
  - Toi? Mais tu n'es pas un homme...
  - J'oubliais! (Elle fait la moue.) Alors je suis la femme la plus pauvre de Montréal. »
   Et cette moue méritait bien trente-cinq sous.
 
 

David Pêle-Mêle 
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