RÉGATE SUR LE RIO DULCE
par Pablo Escapar
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   Après de longs mois passés à l’ancre à réparer des avaries mineures et à retaper des moteurs et des câbles et des tas de trucs répugnants, voici enfin venu le jour où le fier navire de Pablo quitte son petit port d’attache pour vivre son heure de gloire aux yeux de tous. Et ça valait vraiment la peine d’attendre. Nom d’un chien enragé! Il a fier allure, le Sirocco! (Pablo nous a fait justement parvenir un cliché de lui-même en train de skipper son voilier, photo prise par un touriste à bord d’un autre bateau, et qui accompagne cet article [la photo s’entend].) Avis aux lectrices qui sont un peu désenchantées de la vie urbaine et des cartes de crédit: Pablo est en ce moment en quête d’une sirène n’ayant pas peur de se mouiller, aimant le soleil et les cocotiers, avec ou même sans expérience pertinente en tant que moussaillon(ne), pour partir le rejoindre au Guatémala, pas de chichis, et partager un beau cinq et demi récemment rénové, et flottant par surcroît, avec vue sur la mer, entrée laveuse-sécheuse, poêle, frigo, tout le tralala. Envoyer un message à l’adresse qui apparaît au bas de cet article. Même les anciennes concurrentes de la Course Destination Monde sont éligibles, à condition qu’elles n’apportent pas leur caméra. Nous laissons à présent la parole à Pablo lui-même. Place à l’aventure.

La régate du Sirocco

   La première grande expédition du Sirocco: descente du Rio jusqu’à son embouchure sur la mer des Caraïbes, à partir de Fronteras (référez-vous, lecteurs assidus, aux textes précédents). Le vent dans le nez, la descente fut un vrai charme, avec Don Niko comme chef cuisinier et un couple de Français expérimentés en l’art de la voile (Romain et Fred). Tignasses au vent, nous avions tous l’air de boucaniers en expédition punitive... Une fois au mouillage, à Livingston, pour le premier de l’an, l’équipage rencontra le fameux Roger, mais pas celui chez lequel Christiane Charrette a déménagé, à ce que l’on m’a dit, ses pénates, non: plutôt un célèbre navigateur ayant traversé les endroits les plus tordus des océans de ce monde, et cela, sur son petit catamaran, de vingt-quatre pieds à peine, ultra-léger et rapide. Nos joyeux lurons prennent une bonne cuite pour la nouvelle année, c’est-à-dire Romain, Fred, Roger, Don Niko, et moi-même. Le lendemain justement, moi-même, tout plein de jeunesse et de vigeur, décida de mettre l’ami Roger au défi de prendre part à une course uniquement à la voile, une provocation qui ne tomba pas dans l’oreille d’un sourd, je vous en donne ma parole.

    Puisqu’il n’y a pas de niaisage ici au Guatémala contrairement à la coutume dans certains pays dits civilisés, on évita de tourner autour du pot durant un mois, de faire des campagnes de pub et de pelleter des nuages: nous nous sommes dit: « D’accord, adjugé, okeydoke, rendez-vous à midi demain aux portes du Golfette, et aucun moteur n’est admis. » Ce qui fut dit, fut fait. Très tôt, je réveillai mon équipage, leur servit des petits déjeuners au lit (mais non, voyons, vous me prenez pour qui, Oprah?), levai l’ancre, et pris la route du Golfe. Après avoir franchi les périls rocheux du fleuve, nous arrivâmes aux gorges escarpées qui précèdent le fameux Golfette... Fred, Niko et Romain se baignèrent, après quoi nous dévorâmes, tous ensemble, un gueuleton monstrueux, qui était digne de chez Maxime. Je donnai l’ordre de hisser les voiles, puis nous attendîmes le vent, qui, lui, apparemment, n’avait pas encore terminé son lunch break. Vers midi, Roger a surgi loin derrière nous, toutes voiles déployées.

   Une petite brise venant du large poussait dans le dos de nos deux voiliers, mais elle resta assez timide somme toute, et ne dépassa jamais, de tout le temps que dura la course, les cinq noeuds... Les deux bateaux voguaient doucement. Roger, avec son faible tirant d’eau, rattrapa le Sirocco, patiemment, en cinq heures de voile... Les deux équipages tiraient des bords et prenaient tout le temps pour ajuster la voilure le plus précisément possible; un après-midi de rêve! Un gros soleil radieux, aucune vague, pas de bruit de moteur, et l’excitation de la course. Au sortir du Golfette, Roger était presque derrière nous, lorsque, tout a coup, Don Niko aperçut un haut fond, là, droit devant. L’équipage tire un bord en vitesse, et avec l’habileté des marins du Vendée-Globe (hum! ou presque!) évite de s’échouer. Mais ce faisant, nous laissâmes le catamaran nous dépasser (lui, puisqu’il n’a pas de quille, il passe ou il veut). J’entamai immédiatement la poursuite, et réussit à me positionner derrière le voilier de Roger, le Vakuta, afin de lui couper le vent, une sournoise mais efficace technique héritée de l’époque des corsaires de ce bon vieux Olivier La Buze (1688 si mes souvenirs sont exacts). Le pari fonctionna. Grâce à son immense voilure, le Sirocco ferme une vaste superficie... et les voiles (minuscules, ah! ah! ah!) du Vakuta s’affaissent. Roger grince des dents, le pauvre, et se mordille la barbe. Pourtant, son catamaran reste devant jusqu’au bout.

   Ce qu’il y avait d’exceptionnel, dans cette course, c’est qu’un sloop comme le Sirocco ne peut en temps normal rivaliser avec un catamaran filant deux fois plus vite, dans des conditions tout à fait normales (un vent de 15 noeuds par exemple). Habituellement, dans les régates organisées et bien clean-cut (mais, nous, on s’en fiche; nous sommes des voyous!), monocoques et catamarans compétitionnent dans des catégories bien distinctes... C’est probablement le talent de mon brave équipage qui a aidé le Sirocco à rester dans la course en utilisant des ruses de forbans. Le voilier est à présent à la marina. Moi, je suis au comptoir du bar voisin, à siroter des margatitas, ou des daïkiris, ou des sex on the beach ou des Perriers, et je continue de rechercher activement quelque nouveau membre d’équipage... puisque, après quelques semaines, mes compagnons d’aventures sont tous rentrés respectivement chez eux. Avis aux intéressés. Je sais que les logements sont pas abordables à Montréal. Ici, quelle différence! les prix sont flottants. Il n’en tient qu’à vous d’être des héros. Moi, je fournis le bandana et le sabre d’abordage.

Pablo Escapar
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