Ce
parfum de gazoline m’enivrait. Cependant ce n’était pas le
cas pour mes voisins qui m’avaient achalés pendant tout le mois
de mai pour que je déménage cette bête odoriférante.
Elle avait passé tout l’hiver à l’abri dans la remise
qui desservait les habitants du Triplex surnommé le « Pet-Shop
». J’avais eu écho - au sens figuré et propre - que
celle-ci diffusait des effluves nauséabonds à travers les
cloisons en carton des chalets. Il est vrai que j’étais le seul
des locataires à ne pas avoir un mur mitoyen avec l’entrepôt,
ce qui, il va sans dire, ne me donnait pas l’heure juste sur l’état
de la situation. C’est pourquoi je fis un petit tour dans les zones
sinistrées, chez mes voisins Jean-Claude Martin (prenant soin de
frapper avant d’entrer) et Claude Dion. Je me rendis bien compte de l’ampleur
des dégâts. Jean-Claude, qui avait un mur en entier adjacent
à la remise, était vert comme une Granny Smith. Claude,
plutôt habitué à l’odeur de l’essence, puisqu’il était
un gars de bicycle, me pressa lui aussi de sortir l’engin mais seulement
en raison d’un écoeurement profond des crises de Jean-Claude à
ce sujet - comme les murs n’étaient pas très isolés,
Claude ne perdait pas un iota des lamentations hargneuses de notre voisin
suffocant. Dion m’offrit même son aide pour les menues réparations
et pour descendre l’animal pétulant sur la courte passerelle en
acier déployé, qui, soit dit en passant, avait une pente
assez forte en raison de la dénivellation de deux pieds entre le
plancher de la remise et le sol. Mais, avec l’aide de mon colosse
de voisin, le cheval de fer était bientôt sur la terre ferme.
- T’avais besoin
de moi pour descendre ce p’tit bicycle à pédale-là?
Ha! Ha! Ha!
- OK, j’avoue que
ce n'est pas une Harley mais au moins je peux rouler dans la garnotte!
(Claude ne voulait pas emprunter, avec son bijou, l’inévitable route
de gravier compacté qui reliait la rue principale de St-Donat
au domaine de La Sablière et préférait laisser la
luxuriante moto chez sa mère qui habitait le village.)
- En tout cas, ce
n'est pas avec une trottinette que tu vas te pogner une pitoune!
- T’arrêtes-tu
Dion? Je commence à ne plus trouver ça drôle!
- OK, OK, on va
regarder l’état de ce truc... Tu as bien fait ce que je t’avais
dit de faire?
- Oui oui, j’ai
vidé mon carburateur avant de la remiser...
En premier lieu,
Claude inspecta d’un oeil averti ma petite mule (je surnommais la machine
ainsi depuis que j’avais vu le film Romancing the Stone).
Il n’oublia pas, le regard hypocritement sérieux et concentré,
de faire transparaître un sourire baveux, à demi-dissimulé,
le même qu’il me décochait à presque toutes les fois
qu’il était question de mon tout-terrain. Mais je n’avais pas l’intention
de faire affront à cette raillerie coutumière. Je savais
qu’avec mon voisin je devais « filer doux » quand je faisais
appelle à sa fibre bénévole, et ce, au risque de voir
mes attentes compromises momentanément. C’est pourquoi, je me suis
contenté de lui sourire bêtement, et, voyant que je n’entrais
pas dans son jeu, il commença à ausculter le véhicule.
Il plongea donc ces grosses mains poilues dans les entrailles desséchées
de l’étalon de métal et, après avoir vérifié
l’état des sabots de caoutchouc (ainsi que celui d’autres pièces
dont j’ignore l’utilité), il prit soin d’hydrater l’« inanimal
» d’une mixture de compost de dinosaure raffiné. Tout en versant
la concoction, il m’annonça, d’un ton solennel, qu’il était
maintenant le temps d’essayer de partir le moteur pour le test ultime.
Après quelques essais infructueux, le hennissement de cette bestiole
tout-terrain se fit entendre et, au moment où je poussais un soupir
de soulagement, Claude m’ordonna (sur-le-champ) d’aller lui chercher une
bonne bière « frète » et les restants de chips
qu’il avait transporté du Manoir des Laurentides jusqu’à
La Sablière suite au match de tennis de la veille. Je m’empressai
d’exécuter son ordre, comme le plus soumis des pages. Ce cher Claude
m’avait encore évité une visite coûteuse chez Pagé
(le concessionnaire de véhicules récréatifs du village)
et j’étais prêt à toutes les bassesses.
Les quartiers désordonnés
de Dion étaient dans leur habituelle tenue défraîchie
et bigarrée. En voulant éviter de mettre le pied dans une
assiette qui, pour je ne sais quelle raison saugrenue, gisait à
l’envers sur le plancher, j’écrasai de tout mon poids la queue de
Grisette, la chatte de Claire, la blonde de Dion.
- Aille! Faites attention,
jeune freluquet! Vous m’avez fais très mal, savez-vous?
- Scuse moi ma petite
Grisette!
- Vous n’avez pas
appris a vouvoyer vos aînés. Nous n’avons pas gardé
les cochons ensemble, que je me souvienne! Miaou... Petit inconscient !
Est-ce possible... (soupir)
- Viens donc ici,
petite chatte, je vais te donner du bon lait-lait.
- Bien que vous
soyez un mufle de la pire espèce, vous savez comment vous racheter,
petit voyou que vous êtes! Mais, s’il vous plaît, cessez immédiatement
de me tutoyer... Ou sinon je serai obligé de sévir! Miaou...
Soyez-en averti, malotru!
Pour ne pas que la
chatte de Claire ait peur de moi à tout jamais, je lui versai du
lait dans une petite assiette creuse. Elle raffolait de cette substance
crémeuse et, comme escompté, elle sortit de sous le meuble
supportant le système de son, où elle s’était réfugiée.
Pendant que Grisette débutait son festin, je me mis en train de
chercher le « doggybag » de Claude. Les recherches étaient
pénibles étant donné l’état des lieux et, au
bout d’un moment, je perdis complètement espoir de retrouver le
sac de croustilles à saveur de crème sûre et oignon
qui se camouflait quelque part dans ce fouillis. Heureusement je me doutais
bien où était la bière et je me dirigeai dans la salle
de bain. Quelle ne fut pas ma surprise quand je m’aperçus
que les hosties païennes se trouvaient sur le couvercle du réservoir
du cabinet d’aisances. Je pris donc le sac, qui était pratiquement
plein (c’était Claude qui avait acheté les chips et personne
n’aimait cette saveur - à part lui, évidement!), et je cueillis
dans l’eau stagnante du bain deux spécimens des bouteilles submergées.
Avant de sortir du
chalet, je fis mes adieux à Grisette - Salut à toi, petite
féline - qui me mordit brutalement à un orteil sans que je
ne comprît pourquoi, et, comme je ne m’attendais vraiment pas à
cette attaque brusque, j’échappai les deux bouteille de bière
qui se brisèrent l’une sur l’autre. Comme dans le dicton, jamais
deux sans trois: je vis passer à vive allure, sur la route de gravier,
Claude au volant de ma petite mule. Il conduisait une roue en l'air, et
ce qui devait arriver arriva. Il perdit le contrôle de l’animal sauvage
et alla buter de plein fouet contre un petit bouleau sur le bord du chemin.
Junior
MacO'mmune
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