CHRONIQUE DONATIENNE 4
1- La Chute aux Rats
par Junior MacO'mmune
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Bien que cela semble contradictoire, chaos et ordre n’étaient plus des antonymes. Ils marchaient de concert dans cette contexture rococo. L’eau, le feu, la terre et l’air engendraient le corps d’une partition illisible, sans queue ni tête: la Nature. Nos yeux n’en croyaient pas leurs yeux. Ceux-ci se devaient d’improviser un jazz optique pour tenter de remédier à l’incompréhension qui les habitaient. Culbutés par un amour insaisissable, scattant de gauche à droite, puis, de bas en haut, ils scrutaient frénétiquement les confins de l’amalgame autochtone. Contrairement aux apparences, tout était bien à sa place. Comme si une force artistique, transcendant l’imagination, dirigeait subtilement les diverses manifestations du quatuor organique. Aussi, ce bouleau, déraciné par l’érosion, avait tout à fait sa place dans le panorama. Au sommet de La Chute aux Rats, coincé entre deux pierres, l’arbre ajoutait une touche funeste qui contrebalançait avec la forte symbolique de l’eau, porteuse de vie. 

Cristalline et scintillante sous le projecteur de l’auguste soleil d’été, la substance originelle se fracassait inlassablement - rocambolesque, guillochant les rochers par un long processus d’orfèvrerie aléatoire et acharnée. Vainqueur en tous points, chevauchant les obstacles comme dans un steeple-chase, c’est elle qui donnait le spectacle, laissant à l’amas rocailleux, disposé en gradin, le rôle de soutien. Imprévisible star du roc; constamment en pleine descente - elle était élancée, lisse et douce. Imprévisible star du roc; constamment en plein fracas - elle était trapue, bouillonnante et féroce, rugissant de plus en plus fort, à mesure que nous nous approchions d’elle. Il en émanait un bruit sourd qui rappelait quelque peu les applaudissements irréguliers d’une foule en liesse et, ému devant la beauté simple de la nature, m’imaginant au pays de cocagne, j’avais pratiquement le goût de me joindre à cette ovation. À la place, je délaissai la main de Nicole, pour quelques secondes, le temps d’éponger, avec le bout de ma serviette de plage, mon front, perlant de sueur. 

Semblable à la périphérie des miroitantes prunelles de ma compagne, le ciel bleu azur était parsemé de nuages vaporeux qui ondoyaient au loin – souvenirs des rêves d’une nuit orageuse se dissipant tranquillement en notre mémoire onirique, sans que l’on s’en rende compte, n’y voyant que du feu. Nicole avait déjà oublié notre petite chicane d’hier, et moi pareillement. Le Galarneau règnerait incessamment en roi et maître dans le firmament de Saint-Donat. Ses chaudes radiations transperçaient déjà nos corps suintants et encore endormis, bien qu’il soit midi. Des flèches en flamme transperçaient déjà nos cœurs battants la chamade, bien que l’aube vienne tout juste de pointer à l’horizon de nos accointances.

Main dans la main, à la recherche d’un rafraîchissement, nous nous mimes en train de gravir les marches claudicantes qui, aux abords du gouffre, suivaient les aspérités du terrain en un chaotique zig-zag. Un peu avant la moitié du parcours ascensionnel vers la crête, nous nous arrêtâmes sur la plate-forme en bois imputrescible du belvédère octogonal. Je constatai, un peu déçu, que cette nouvelle construction était décidément trop parfaite, géométriquement parlant, pour ne pas détonner avec le reste du décor. Comme une énorme tache noire, elle maculait la balance spontanée de la toile rustique environnante. En contrepartie, elle avait été judicieusement érigée autour d’un vénérable érable, lui octroyant les allures d’un idyllique gazébo végétal. Comble du bonheur, tout près de là, au mitan de la chute, se trouvait une espèce de petit jacuzzi dans lequel j’avais l’intention d’entraîner mon amie. Le bain avait été creusé, à même le roc, par des décennies d’un long processus de ravinement. Avec ses remous et ses petites bulles, il était très invitant, et je me déshabillai immédiatement - pour ne garder que mon slip. J’étais impatient à l’idée de jouir de cette immersion thérapeutique - contrairement à Nicole qui, depuis qu’elle avait aperçu la pancarte prohibant la baignade, paraissait vouloir proroger. Sans attendre, feignant ne pas remarquer l'indécision qui tenaillait celle-ci, j’enjambai maladroitement le garde-corps ceinturant la terrasse. Cheminai quelques mètres sur le sec. Plongeai mon orteil dans l’eau glaciale. Frissonnai. Faillit me casser la margoulette sur une roche chambranlante, enduit d’une fine couche d’algues microscopiques et visqueuses. Avançai à tâtons vers les remous. Et, finalement, m’immisçai, en un seul morceau, au nombril de ce monde tumultueux qui pétrissait expertement ma peau, fripée par une nuit sur la corde à linge.

Nicole ne s’était pas encore dévêtue. Elle dévisageait obstinément le pictogramme qui, perché sur son poteau en acier galvanisé, condamnait le plaisir d’un sévère trait rouge; placé en oblique sur l’illustration de ce bohomme allumette qui pataugait dans des flots caricaturaux.

- C’est pas prudent de barboter ici! En plus : t’es certain que c’t’arbre-là va pas nous tomber dessus? Il m’a l’air un tantinet instable!
- Ben non ma NiXe! Tu cherches du trouble où il n’y en a pas! Ça fait tellement longtemps que ce cure-dent est accroché là-haut: il faudrait être vraiment très malchanceux pour…
- Chus pas sûre de vouloir jouer à la roulette russe, ti-gars!
- Tu y joue à chaque matin, à la minute que tu mets ton pied hors du lit! Allez! L’eau est même pas frette quand on y est habitué. C’est pas comme si on était en Sibérie!
- L’eau? C’est pas ça le problème! C’est inscrit là! interdiction de se baigner; il doit bien y avoir une raison.
- Arrête de stresser pour rien! Tu me fais penser à la p’tite Johannie Morneau!
- Ha! Ha! Très drôle, ti-con.
- Come on! Vient-en icite tite-fille! 
- Heille! Appelle-moi pas tite-fille! J’te remémore que j’ai pratiquement deux ans de plus que toi!
- Quoi? Qu’est-ce que tu dis! J’entends rien à cause de la douche! Parle plus fort Johannie!
- Niaiseux!

En réaction à cette inculpation, prononcée avec un torrent de tendresse, je m’acculai à la paroi gris acier de la chute trépidante tout en mimant parodiquement un boudeur faisant la moue.

La terre hydrocéphale était profondément affligée d’une plaie béante n’ayant jamais cicatrisée. Il ruisselait de l’épicentre de la blessure une pléthore d’un sang inodore, incolore et insipide. Cependant, après une vraie course à tonneau ouvert, l’eau-de-vie finissait par arriver à la chute déguisée en bière d’épinette. Elle s’était imprégnée, lors de son transit au creux des commissures sinueuses de la vieille forêt nordique, des effluves, des couleurs et des saveurs de la centenaire. À mesure qu’elle me remplissait d’une grisante euphorie, mon cortex se vidait de tout tracas. Irriguant la jachère échevelée de mon cuir chevelu, elle noyait d’une intarissable ivresse les indésirables cafards peuplant ma boîte crânienne. 

La barmaid se raisonna finalement à venir me retrouver au sein du temple de Poséidon. Elle avait remarqué, entre les colonnes fluides de l’orgue phréatique en trombe, mon sourire niais de bienheureux et, obéissant à la tentation de cette félicité, elle convoitait cette béatitude divine pour elle-même. Avant de s’envoler au septième ciel, elle fit tomber ses sandales et son paréo sur le sol. Débarrassée de ce lest, elle bondit adroitement hors de la nacelle. Outrepassa, avec un aplomb exceptionnel, les pièges sournois du terrain acerbe. Gambada sans heurts sur les pierres gluantes submergées. Et, avec l’agilité et la grâce d’un chat, me sauta au cou comme si j’étais sa proie.

La panthère, enfonçant ses ongles acérés dans mes deltoïdes, accentuait son emprise sur moi. J’allais bientôt crier de douleur, et la répudier, quand elle me bâillonna d’un baiser langoureux qui fit taire mes écorchures. Une mixtion d’amour et de passion coulait de sa bouche fouineuse, laissant sur ma langue décontenancée un arrière-goût d’adrénaline mithridatisant. Après quelques minutes de ce manège torrentueux, la bête carnassière me força à la suivre vers la terre ferme du mirador. Elle avait le goût de me dévorer, et moi, de mourir en elle.

Au moment où Nicole s’apprêtait à prendre ma tige de jade dans sa bouche, Mme Morneau fit éruption sur le belvédère, suivie de ses deux filles, Johannie et Mirabelle. J’eus tout juste le temps de remettre mon phallus bien en place dans mes culottes, cependant que la mère, furibonde, ordonnait sèchement à sa progéniture de se retourner, et d’en faire autant elle-même.

- Franchement! Est-ce possible d’être aussi dévergondé que ces deux-là!
- Qu’est-ce qu’il y a, maman? fit Mirabelle.
- Je pense que c’est Nicole qui fait des proutes sur le bedon de Junior, avança Johannie.
- C’est ça, ma belle! confirma Mme Morneau, soulagée de cette méprise. 
- Dis maman! C’est pas bien, faire des proutes sur le bedon? demanda Mirabelle, confuse.
- Ben non Mira! gronda Johannie. C’est pas bien! Heu… N’est-ce pas maman?
- Tu as raison mon petit lapin! C’est pas bien faire ça!
- J’te l’avais dit, Mira, que c’était pas bien faire des proutes sur le bedon!
- Pourquoi c’est pas bien faire des proutes sur le bedon?
- Parce que maman l’a dit! Elle a toujours raison maman!
- Mautadine que t’es téteuse Johannie!
- C’est pas bien dire téteuse! Hein maman?
- Non, c’est pas bien mon cœur.

Ce conciliabule familial se métamorphosant en une chamaille puérile, moi et Nicole avions tout le mal du monde à juguler un gloussement guttural, aspirant à s'ennoblir en un fou rire nasillard. Mais ceci ne nous empêchait pas de nous rhabiller en vitesse. 

J’allais avertir la famille pudibonde, nous faisant dos, que nous étions désormais présentables, quand je remarquai que la turgescente poitrine de Nicole se décalquait très clairement sous le tissu translucide de sa camisole mouillée. Je lançai donc la serviette de ratine à ma compagne, lui faisant signe de se caparaçonner le buste.

- On peux-tu l’a regarder, LÀ, la chute, maman? questionna Mirabelle, tout en nichant, d’une manière cauteleuse, une chiquenaude derrière l’oreille de sa sœur.
- Ooooooooooooooooooooutch! s’égosilla Johannie en courroux.
- Qu’est-ce qu’il a mon ange?
- C’est Mirabelle maman! Elle m’a donné un super gros coup!
- C’est pas bien faire ça ma belle! moralisa Mme Morneau.
- Mais, mais… Maman… C’est même pas vrai! garantit perfidement Mirabelle.
- Ooooooooooooui! C’EST VRAI! BON! rechigna Johannie au bord des larmes. Elle m’a donné un coup de poing dans la tête! 
- Johannie c’est une menteuse! la-la-la-la-lère! rajouta l'effrontée.

Je mis fin à ce contentieux lorsque j’annonçai, d’un ton mélodramatique, que Nicole avait fini de faire des proutes sur mon bedon, et que, par conséquent, la voie était libre de tout obstacle obscène. Après avoir obtenu l'assentiment de leur mère, les deux gamines se retournèrent pour foncer en notre direction.

- Salut Junior! Salut Nicole! lança Mirabelle.Vous avez-tu entendu parler de la sorcière qu’Intuition a trouvée dans l’bois près du …
- Heille Nicole!!! coupa Johannie. Sache que ce n’est pas bien de faire des proutes sur le bedon de Junior : ma maman me l’a dit!
- Oui, oui, je sais Johannie, rasséréna Nicole, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, ta maman a toujours raison! 
- De quelle sorcière tu veux parler Mira? m’enquérais-je.
- Écoute la pas Junior! Elle invente des histoires! C’est ELLE la menteuse! affirma, irrévocablement, Johannie.
- Tu peux pas savoir nou-noune : tu cueillais des framboises avec maman quand elle l’a trouvée! Moi j’étais là, pis c’est VRAI! On jouait à la cachette…
- C’est toi la nou-noune!
- Non c’est toi!
- Non c’est toi!
- Arrêtez de vous crêper le chignon vous deux! commandais-je. Vous êtes ici pour regardez la chute, oui ou non? Elle est a vous! Nous, on s’en va!
 
 

Junior MacO'mmune 
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