Bien
que cela semble contradictoire, chaos et ordre n’étaient plus des
antonymes. Ils marchaient de concert dans cette contexture rococo. L’eau,
le feu, la terre et l’air engendraient le corps d’une partition illisible,
sans queue ni tête: la Nature. Nos yeux n’en croyaient pas leurs
yeux. Ceux-ci se devaient d’improviser un jazz optique pour tenter de remédier
à l’incompréhension qui les habitaient. Culbutés par
un amour insaisissable, scattant de gauche à droite, puis, de bas
en haut, ils scrutaient frénétiquement les confins de l’amalgame
autochtone. Contrairement aux apparences, tout était bien à
sa place. Comme si une force artistique, transcendant l’imagination, dirigeait
subtilement les diverses manifestations du quatuor organique. Aussi, ce
bouleau, déraciné par l’érosion, avait tout à
fait sa place dans le panorama. Au sommet de La Chute aux Rats, coincé
entre deux pierres, l’arbre ajoutait une touche funeste qui contrebalançait
avec la forte symbolique de l’eau, porteuse de vie.
Cristalline et scintillante sous le projecteur
de l’auguste soleil d’été, la substance originelle se fracassait
inlassablement - rocambolesque, guillochant les rochers par un long processus
d’orfèvrerie aléatoire et acharnée. Vainqueur en tous
points, chevauchant les obstacles comme dans un steeple-chase, c’est elle
qui donnait le spectacle, laissant à l’amas rocailleux, disposé
en gradin, le rôle de soutien. Imprévisible star du roc; constamment
en pleine descente - elle était élancée, lisse et
douce. Imprévisible star du roc; constamment en plein fracas - elle
était trapue, bouillonnante et féroce, rugissant de plus
en plus fort, à mesure que nous nous approchions d’elle. Il en émanait
un bruit sourd qui rappelait quelque peu les applaudissements irréguliers
d’une foule en liesse et, ému devant la beauté simple de
la nature, m’imaginant au pays de cocagne, j’avais pratiquement le goût
de me joindre à cette ovation. À la place, je délaissai
la main de Nicole, pour quelques secondes, le temps d’éponger, avec
le bout de ma serviette de plage, mon front, perlant de sueur.
Semblable à la périphérie
des miroitantes prunelles de ma compagne, le ciel bleu azur était
parsemé de nuages vaporeux qui ondoyaient au loin – souvenirs des
rêves d’une nuit orageuse se dissipant tranquillement en notre mémoire
onirique, sans que l’on s’en rende compte, n’y voyant que du feu. Nicole
avait déjà oublié notre petite chicane d’hier, et
moi pareillement. Le Galarneau règnerait incessamment en roi et
maître dans le firmament de Saint-Donat. Ses chaudes radiations transperçaient
déjà nos corps suintants et encore endormis, bien qu’il soit
midi. Des flèches en flamme transperçaient déjà
nos cœurs battants la chamade, bien que l’aube vienne tout juste de pointer
à l’horizon de nos accointances.
Main dans la main, à la recherche
d’un rafraîchissement, nous nous mimes en train de gravir les marches
claudicantes qui, aux abords du gouffre, suivaient les aspérités
du terrain en un chaotique zig-zag. Un peu avant la moitié du parcours
ascensionnel vers la crête, nous nous arrêtâmes sur la
plate-forme en bois imputrescible du belvédère octogonal.
Je constatai, un peu déçu, que cette nouvelle construction
était décidément trop parfaite, géométriquement
parlant, pour ne pas détonner avec le reste du décor. Comme
une énorme tache noire, elle maculait la balance spontanée
de la toile rustique environnante. En contrepartie, elle avait été
judicieusement érigée autour d’un vénérable
érable, lui octroyant les allures d’un idyllique gazébo végétal.
Comble du bonheur, tout près de là, au mitan de la chute,
se trouvait une espèce de petit jacuzzi dans lequel j’avais l’intention
d’entraîner mon amie. Le bain avait été creusé,
à même le roc, par des décennies d’un long processus
de ravinement. Avec ses remous et ses petites bulles, il était très
invitant, et je me déshabillai immédiatement - pour ne garder
que mon slip. J’étais impatient à l’idée de jouir
de cette immersion thérapeutique - contrairement à Nicole
qui, depuis qu’elle avait aperçu la pancarte prohibant la baignade,
paraissait vouloir proroger. Sans attendre, feignant ne pas remarquer l'indécision
qui tenaillait celle-ci, j’enjambai maladroitement le garde-corps ceinturant
la terrasse. Cheminai quelques mètres sur le sec. Plongeai mon orteil
dans l’eau glaciale. Frissonnai. Faillit me casser la margoulette sur une
roche chambranlante, enduit d’une fine couche d’algues microscopiques et
visqueuses. Avançai à tâtons vers les remous. Et, finalement,
m’immisçai, en un seul morceau, au nombril de ce monde tumultueux
qui pétrissait expertement ma peau, fripée par une nuit sur
la corde à linge.
Nicole ne s’était pas encore dévêtue.
Elle dévisageait obstinément le pictogramme qui, perché
sur son poteau en acier galvanisé, condamnait le plaisir d’un sévère
trait rouge; placé en oblique sur l’illustration de ce bohomme allumette
qui pataugait dans des flots caricaturaux.
- C’est pas prudent de barboter ici! En
plus : t’es certain que c’t’arbre-là va pas nous tomber dessus?
Il m’a l’air un tantinet instable!
- Ben non ma NiXe! Tu cherches du trouble
où il n’y en a pas! Ça fait tellement longtemps que ce cure-dent
est accroché là-haut: il faudrait être vraiment très
malchanceux pour…
- Chus pas sûre de vouloir jouer
à la roulette russe, ti-gars!
- Tu y joue à chaque matin, à
la minute que tu mets ton pied hors du lit! Allez! L’eau est même
pas frette quand on y est habitué. C’est pas comme si on était
en Sibérie!
- L’eau? C’est pas ça le problème!
C’est inscrit là! interdiction de se baigner; il doit bien y avoir
une raison.
- Arrête de stresser pour rien!
Tu me fais penser à la p’tite Johannie Morneau!
- Ha! Ha! Très drôle, ti-con.
- Come on! Vient-en icite tite-fille!
- Heille! Appelle-moi pas tite-fille!
J’te remémore que j’ai pratiquement deux ans de plus que toi!
- Quoi? Qu’est-ce que tu dis! J’entends
rien à cause de la douche! Parle plus fort Johannie!
- Niaiseux!
En réaction à cette inculpation,
prononcée avec un torrent de tendresse, je m’acculai à la
paroi gris acier de la chute trépidante tout en mimant parodiquement
un boudeur faisant la moue.
La terre hydrocéphale était
profondément affligée d’une plaie béante n’ayant jamais
cicatrisée. Il ruisselait de l’épicentre de la blessure une
pléthore d’un sang inodore, incolore et insipide. Cependant, après
une vraie course à tonneau ouvert, l’eau-de-vie finissait par arriver
à la chute déguisée en bière d’épinette.
Elle s’était imprégnée, lors de son transit au creux
des commissures sinueuses de la vieille forêt nordique, des effluves,
des couleurs et des saveurs de la centenaire. À mesure qu’elle me
remplissait d’une grisante euphorie, mon cortex se vidait de tout tracas.
Irriguant la jachère échevelée de mon cuir chevelu,
elle noyait d’une intarissable ivresse les indésirables cafards
peuplant ma boîte crânienne.
La barmaid se raisonna finalement à
venir me retrouver au sein du temple de Poséidon. Elle avait remarqué,
entre les colonnes fluides de l’orgue phréatique en trombe, mon
sourire niais de bienheureux et, obéissant à la tentation
de cette félicité, elle convoitait cette béatitude
divine pour elle-même. Avant de s’envoler au septième ciel,
elle fit tomber ses sandales et son paréo sur le sol. Débarrassée
de ce lest, elle bondit adroitement hors de la nacelle. Outrepassa, avec
un aplomb exceptionnel, les pièges sournois du terrain acerbe. Gambada
sans heurts sur les pierres gluantes submergées. Et, avec l’agilité
et la grâce d’un chat, me sauta au cou comme si j’étais sa
proie.
La panthère, enfonçant ses
ongles acérés dans mes deltoïdes, accentuait son emprise
sur moi. J’allais bientôt crier de douleur, et la répudier,
quand elle me bâillonna d’un baiser langoureux qui fit taire mes
écorchures. Une mixtion d’amour et de passion coulait de sa bouche
fouineuse, laissant sur ma langue décontenancée un arrière-goût
d’adrénaline mithridatisant. Après quelques minutes de ce
manège torrentueux, la bête carnassière me força
à la suivre vers la terre ferme du mirador. Elle avait le goût
de me dévorer, et moi, de mourir en elle.
Au moment où Nicole s’apprêtait
à prendre ma tige de jade dans sa bouche, Mme Morneau fit éruption
sur le belvédère, suivie de ses deux filles, Johannie et
Mirabelle. J’eus tout juste le temps de remettre mon phallus bien en place
dans mes culottes, cependant que la mère, furibonde, ordonnait sèchement
à sa progéniture de se retourner, et d’en faire autant elle-même.
- Franchement! Est-ce possible d’être
aussi dévergondé que ces deux-là!
- Qu’est-ce qu’il y a, maman? fit Mirabelle.
- Je pense que c’est Nicole qui fait des
proutes sur le bedon de Junior, avança Johannie.
- C’est ça, ma belle! confirma
Mme Morneau, soulagée de cette méprise.
- Dis maman! C’est pas bien, faire des
proutes sur le bedon? demanda Mirabelle, confuse.
- Ben non Mira! gronda Johannie. C’est
pas bien! Heu… N’est-ce pas maman?
- Tu as raison mon petit lapin! C’est
pas bien faire ça!
- J’te l’avais dit, Mira, que c’était
pas bien faire des proutes sur le bedon!
- Pourquoi c’est pas bien faire des proutes
sur le bedon?
- Parce que maman l’a dit! Elle a toujours
raison maman!
- Mautadine que t’es téteuse Johannie!
- C’est pas bien dire téteuse!
Hein maman?
- Non, c’est pas bien mon cœur.
Ce conciliabule familial se métamorphosant
en une chamaille puérile, moi et Nicole avions tout le mal du monde
à juguler un gloussement guttural, aspirant à s'ennoblir
en un fou rire nasillard. Mais ceci ne nous empêchait pas de nous
rhabiller en vitesse.
J’allais avertir la famille pudibonde,
nous faisant dos, que nous étions désormais présentables,
quand je remarquai que la turgescente poitrine de Nicole se décalquait
très clairement sous le tissu translucide de sa camisole mouillée.
Je lançai donc la serviette de ratine à ma compagne, lui
faisant signe de se caparaçonner le buste.
- On peux-tu l’a regarder, LÀ, la
chute, maman? questionna Mirabelle, tout en nichant, d’une manière
cauteleuse, une chiquenaude derrière l’oreille de sa sœur.
- Ooooooooooooooooooooutch! s’égosilla
Johannie en courroux.
- Qu’est-ce qu’il a mon ange?
- C’est Mirabelle maman! Elle m’a donné
un super gros coup!
- C’est pas bien faire ça ma belle!
moralisa Mme Morneau.
- Mais, mais… Maman… C’est même
pas vrai! garantit perfidement Mirabelle.
- Ooooooooooooui! C’EST VRAI! BON! rechigna
Johannie au bord des larmes. Elle m’a donné un coup de poing dans
la tête!
- Johannie c’est une menteuse! la-la-la-la-lère!
rajouta l'effrontée.
Je mis fin à ce contentieux lorsque
j’annonçai, d’un ton mélodramatique, que Nicole avait fini
de faire des proutes sur mon bedon, et que, par conséquent, la voie
était libre de tout obstacle obscène. Après avoir
obtenu l'assentiment de leur mère, les deux gamines se retournèrent
pour foncer en notre direction.
- Salut Junior! Salut Nicole! lança
Mirabelle.Vous avez-tu entendu parler de la sorcière qu’Intuition
a trouvée dans l’bois près du …
- Heille Nicole!!! coupa Johannie. Sache
que ce n’est pas bien de faire des proutes sur le bedon de Junior : ma
maman me l’a dit!
- Oui, oui, je sais Johannie, rasséréna
Nicole, le sourire fendu jusqu’aux oreilles, ta maman a toujours raison!
- De quelle sorcière tu veux parler
Mira? m’enquérais-je.
- Écoute la pas Junior! Elle invente
des histoires! C’est ELLE la menteuse! affirma, irrévocablement,
Johannie.
- Tu peux pas savoir nou-noune : tu cueillais
des framboises avec maman quand elle l’a trouvée! Moi j’étais
là, pis c’est VRAI! On jouait à la cachette…
- C’est toi la nou-noune!
- Non c’est toi!
- Non c’est toi!
- Arrêtez de vous crêper le
chignon vous deux! commandais-je. Vous êtes ici pour regardez la
chute, oui ou non? Elle est a vous! Nous, on s’en va!
Junior
MacO'mmune
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