SURVOL D'UNE RÉFORME DE BASSE-COUR
par Rastaquouère MacO'mmune
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Pour relaxer un peu, avant d’affronter la grosse journée de besogne qui m’attendait à l’extérieur de cet hôtel du centre-ville, je contemplais de ma couche temporaire, les yeux fixés au plafond en miroir, le majestueux spectacle de la nature qui s’offrait à moi. Bouche bée devant une telle beauté, ma transe fut vite profanée par la sonnerie du téléphone. Pour ne pas passer tout droit, j’avais fait appel au service du wake-up guy des lieux. Si vous ne le saviez pas, il existe, dans la plupart des établissements hôteliers qui se respectent, un service de wake-up calls. C’est à dire qu’un valet est payé pour vous appeler à l’heure précise où vous désirez vous réveiller. Il va sans dire que, dans une telle situation, ce n’est pas le temps d’user de discrimination : il ne faut pas se gêner pour traiter cet irritant personnage comme n’importe quel cuistre qui appellerait chez vous dans l’unique et malveillante intention de vous réveiller. « Euh, dit-il professionellement, vous m’avez demandé d’vous appeler! » (c’était sans doute son premier jour). Je n’ai pas dérogé à la règle, et, réservant mes gants blancs pour la semaine des quatre jeudis, j’ai, sans me faire prier, déblatéré au domestique mon recueil d’insultes classique, incluant mon fameux crescendo final où je m’exerce le larynx sur une kyrielle ayant pour étymologie le mobilier liturgique. Après, vous m’accuserez de ne pas être impartial! Bande de filous! 

Aussitôt levé du lit, j’enfilai illico presto mon pelage d’ours. Je n’avais plus de vêtements portables, puisque la veille, dans cette chambre d’hôtel, une nymphe en chaleur avait abusé de mon corps après avoir âprement déchiré mon costume de Casanova, le laissant en lambeaux. Tu parles! Aucun respect pour le bien d’autrui! C’est une autre truie, me direz-vous. Peut-être… Mais je ne veux pas que vous soyez trop sévère à son égard. Oui, elle était cochonne et sadique, mais, je suis obligé d’admettre que j’avais chèrement rémunéré cette demoiselle pour me rudoyer de la sorte. Ce matin, donc (vous me suivez toujours?), je quittai l’hôtel avec pour seul habillement mon manteau velu. Okay, time-out! Pierrot! Cunégonde! You-hou! Charlemagne! Macha? You-hou! Vous bâillez? Est-ce que je vous lasse? Je vous rappelle que rien ne vous claquemure ici! Vous pouvez aller vous faire voir aux Indes, je m’en moque! Et puis, aux Indes il n’y a pas grand-chose d’excitant: du blé, des cochons et, peut-être, quelques dindes d’Inde. C’est ça qui vous branche! Hein! Hein! Hein! Bon, je me calme. Je deviens dinde… Heu… Dingue! Il faut toujours tout répéter, avec vous! Quoi? Vous restez? Vous allez être plus attentifs? Bien… Je disais donc, avant de me faire interrompre grossièrement, que je ne portais rien d’autre qu’une peau d’ours quand j’ai quitté l’hôtel ce matin. Je sais que cela peut vous paraître rustre, mais, je m’en confesse, j’ai toujours aimé le contact de mon corps nu contre le cuir, et il m’arrive souvent de me promener ainsi toute la journée. Il faut simplement que je sois sur mes gardes quand, par exemple, un portier m’offre de mettre ma pelisse de poil au vestiaire. Je sais qu’il est contraire aux préceptes établis de la bienséance et de la morale de se dévêtir publiquement, et je n’aime pas mettre les gens de mauvais poil (veuillez excuser cet euphémisme), lorsque, étourdi que je suis, j’enfreins l’étiquette. Parfois, les jours de chance, le portier est myope et ne comprend pas que je suis nu devant lui. Il me demande simplement si je désire me départir de mon deuxième manteau de fourrure. L’été, c’est ma saison préférée. La sueur augmentant exponentiellement l’adhérence de l’épiderme, j’ai tant de peine à me dévêtir qu’une lumière s’allume avant que je n’aie pu dévoiler quelque partie intime que se soit. L’été, je ne le répèterai jamais assez, j’ai vraiment l’impression de faire un avec la bête...

Ce jour-là, je devais me rendre à Québec, comme si j’avais les ailes d’un ange (ah! j’aurais dû être poète!), pour déposer une offre de service qu’attendait avidement le maire. Lors de notre entretien téléphonique, quand je lui avais glissé mot de mon projet, il s’était exclamé: «J’attends avec impatience ta soumission, grand fou! Ha! Ha! ». Je fus un tantinet heurté de cette familiarité, et, me ressaisissant - les petites railleries venant d’un vrai fou à lier ne pouvaient percer ma carapace -, je promis au maire l’Allier que la soumission lui serait livrée dès le lendemain. Pour votre compréhension de l’histoire (c’est un scoop), il fut denièrement question que votre Rastaquouère National entre dans l’arène politique, et ce, dans le dossier chaud qu’est l’unification des municipalités. J’eus l’idée de cette implication tardive en politique municipale suite à ma dernière tournée dans ce bled pourri qu’est Québec. Un petit vieux m’avait confié qu’il craignait que son kibboutz ne soit pas ciblé par la réforme du syncrétisme municipal. En gros - et si j’ai bien ourdi son discour tarabiscoté et légèrement inintelligible -, l’appréhension principale de ce centenaire était à l’effet que, selon lui, Montréal ne voulait pas de ces philistins du Nord dans leur ville. C’est un fait. Néanmoins, attendris par les bajoues du vieillard (me rappelant celles de mon idole « Tricky » Dick Nixon, qui, vous le savez, ressemblent à celles d’un bouvier des Flandres), et, surtout, empreint de mon altruisme philanthropique habituel, je promis au patriarche de faire l’impossible pour trouver un modus vivendi ralliant l’opinion publique montréalaise à sa cause. Il ne semblait pas comprendre de quoi je parlais, mais, sachez qu’à cet âge vénérable, la mémoire peut nous jouer des tours. Après cet entretien quelque peu humide – dans son roman-fleuve, mon interlocuteur m’avait mitraillé de postillons – me vint l’idée d’offrir mes services au maire l’Allier pour aider ses péquenauds à retrouver leur dignité, c’est-à-dire devenir montréalais. Si mon modèle, Maître Guy « Cendrillon » Bertrand, peut cuirasser des anglophones xénophobes de l’assimilation, je peux certainement sauver du rejet montréalais imminent des francophones triskaïdékaphobes. Ti-Guy est un être influant et, de surcroît, il jouit d’une réputation enviable et d’une crédibilité sans faille: je suis tout ça, moi itou, et de cette réflexion est née une deuxième idée, celle de me faire rétribuer grassement par la municipalité pour mes services. Moi aussi, Ti-Guy, j’ai du pif pour dénicher les causes payantes!

Il ne me restait plus qu’à aller chercher l’offre de service aux bureaux de MCL, et à me mettre en route vers le bidonville. Cette nuit, pendant que j’assouvissais mes instincts primaires refoulés, Pêle-Mêle, sous peine de se faire couper sa ration de café pour une semaine, avait été contraint de rédiger ma lettre d’intentions. C’est ça, le plaisir d’être le chef! J’ai toujours eu pour croyance que le pauvre enfant avait été engendré par la transsubstantiation de l’eau et du grain de café. Le menacer de le priver de ce liquide originel transformait ce pigrasseur de nature pantouflarde en un viatique thaumaturge. Ainsi, lorsque j’arrivai dans la salle de rédaction, Pêle-Mêle m’attendait, stoïquement, derrière son bureau bleu, sur lequel gisait le fruit de sa nuit de labeur. Après avoir examiné pragmatiquement l’ouvrage, je rassurai mon bras droit à l’effet qu’il ne serait pas privé de café pendant une semaine. « Vous pouvez quitter la rédaction l’esprit en paix, et aller vous reposez dans vos quartiers, mon fils, vous êtes béni », m’exclamais-je avec grandiloquence. C’est là que Pêle-Mêle, visiblement exténué par sa nuit blanche, tout en me traitant de despote à plusieurs reprises, se mit à maugréer que sa cheville était encore menottée au calorifère adjacent à son secrétaire. Je négligeai de noter cette mauvaise conduite répréhensible dans l’impitoyable LMCR (Livret des Mauvaises Conduites Répréhensibles); je n’aime pas qu’on propage la fausse idée que je suis un tyran, mais, étant compréhensif, je sais qu’il peut arriver à tout le monde de dire, sur l’impulsion du moment, des mots blessants qui outrepassent leur pensée. Constatant une fois de plus que le créateur m’avait pourvu d’une merveilleuse capacité d’indulgence et, m’enorgueillissant de cette qualité innée, je n’eus aucune résipiscence à dérober au captif Pêle-Mêle le numéro de téléphone de Cindy Cinnamon qu’il conservait en tout temps sur son cœur, dans la poche-revolver de son veston. Ce saligaud n’avait jamais eu la gentillesse de me le refiler! Avant de libérer le séquestré, j’eus également l’opportunité, de reprendre l’entonnoir de la cuisine que notre guignol portait comme un couvre-chef depuis qu’il était devenu fou, en automne dernier, suite à de malheureux évènements qui marquèrent d’une tache noire d’amertume notre réminiscence de cette visite annuelle à la cabane à sucre (voir article, La sève me monte au nez les mecs). 

Arrivé devant mon automobile, je constatai, stupéfié, qu’on avait posé un sabot de Denver sur la roue avant du véhicule. De surcroît, les pigeons de Pêle-Mêle avaient déféqué abondamment sur la carosserie de métal, en plus d’avoir écrit avec leurs salles pattes, sur le banc de neige d’en face : « À mort le tyran! ». Ceci, mes amis, eut pour effet de me mettre en beau joual vert. Je montai aussitôt réveiller mon bras droit qui roupillait dans ses quartiers pour lui annoncer la mauvaise nouvelle - m’illusionnant qu’il allait m’aider à trouver un moyen de transport de substitution. Mécontent de se faire tirer du lit, mon subalterne était bleu. Il me lança d'un ton virulent : 
« Je sais, belliqueux personnage! C’est moi qui ai posé ce sabot, par Bleu!
- C’est absurde! m'écriais-je.
- Pas du tout! C’est mon nouveau side-line, imaginez-vous!
- Mais…
- Vous ne nous payez pas assez! Vous êtes un pingre tyrannique et, cela dit, même mes pigeons pensent comme moi! »
Là, inutile de vous le dire, j’ai sorti l’impitoyable LMCR.
« Non! pas l’impitoyable LMCR! hurla Pêle-Mêle qui faisait une mine d’enterrement.
- Oui, précisément! Vous montez la population contre moi avec vos propos subversifs, préparez-vous au pire!
- Vous nous y préparez à tous les jours, avec votre sale caractère!
- Malheureux! Cette fausse affirmation va vous coûter un max! »
Je lui annonçai donc que, selon le barème de l’impitoyable LMCR, réajusté à chaque trimestre, pour cette simple insulte, il serait privé de café pendant plus d’un mois. Cet argument massue ne découragea point Pêle-Mêle d’accumuler les mauvaises conduites répréhensibles. Son discours, par contre, était légèrement différent, et il avait cessé de me vilipender. « Qui est à la première base? Je ne te demande pas qui! Je te dis Qui! » n’arrêtait-il pas de répéter en se donnant frénétiquement des coups sur la tête. Le spectacle était assez jubilatoire. Après quelques heures de flagellation, couvert de bleus, Pêle-Mêle manifesta le vœu que je lui enfilai sa camisole de force. J’exauçai son souhait à contrecœur, ayant constaté qu’il ne restait plus une page de libre dans l’impitoyable LMCR.

Puisqu’il se faisait tard (il était pratiquement huit heures du soir), je me mis en train de gamberger pour découvrir un autre moyen de transbahuter l’offre de service jusqu’au maire de Québec. Il est superfétatoire de vous dire que je n’ai qu’une seule parole! J’étais prêt à tout pour livrer cette damnée lettre avant minuit, et je n’eus d’autre choix que de me planquer sur la voie d’accès du pont Jacques-Cartier, muni d’un écriteau « Québec », et de lever le pouce. Après une heure d’attente, un camionneur eut pitié de moi, et s’arrêta pour me faire monter. Aussitôt à l’intérieur du camion, mon bon samaritain, larmoyant, m’implora de mettre mon manteau de fourrure dans la remorque arrière du camion, prétextant qu’il était allergique aux ours. Malencontreusement, lorsque je voulus remonter dans le véhicule, le routier me ferma la porte au nez et partit en trombe en me traitant de salle tapette. Je me retrouvai ainsi, nu comme un ver, au milieu des prostituées travesties du quartier... Il va sans dire que je n’eus pas à attendre bien longtemps avant de me faire cueillir comme une fleur par deux poulets zélés. Il fut difficile de faire comprendre aux gendarmes, limités, intellectuellement parlant, que je n’étais point un exhibitionniste. Cependant, suite à deux heures d’argumentation sous la lampe, je m’en sortis avec une simple amende.

Il était maintenant trop tard pour faire quoi que ce soit au sujet de l’offre de service, et je pris le métro vers le bureau, complètement désabusé de la vie. Quand j’entrai dans la salle commune, tous les employés se mirent à rire aux éclats, pointant comme des gamins le costume rayé noir et blanc que les policiers m’avaient prêté. Pêle-Mêle devait les avoir prévenus que l’impitoyable LMCR était complètement rempli, et, sachant que je n’avais pas eu le temps de m’en procurer un nouveau, ils s’en donnaient à cœur joie en scandant joyeusement en chœur: « Jean-Val-jean! Jean-Val-jean! Jean-Val-jean! » Frustré de ce témoignage de lèse-majesté dont faisaient preuve mes gens, je fonçai chercher dans la cuisine le couteau de boucher (Daniel de son prénom), et l’entonnoir, que je déposai sur la ma tête, devenu comme fou. S’ensuivit une scène burlesque où, tournoyant autour de la table de conférence où siégeaient mes sujets, je dépeçai violemment les pigeons de Pêle-Mêle m’exclamant: « Qui est à la première base? Je ne te demande pas qui! Je te dis Qui! » Tout ce tohu-bohu réveilla le pauvre Pêle-Mêle qui dormait au-dessus. Il fallut peu de temps avant que celui-ci ne descende et ne fasse la macabre découverte.
« Mes pigeons! Mes pigeons voyageurs! gémit-t-il.
- Quoi! Des pigeons voyageurs! fis-je.
- Effectivement, monstrueux meurtrier, j’entretiens une correspondance avec le maire l’Allier.
- Avec qui?
- Il est, lui aussi, un adepte de ce noble loisir. Attendez que je lui dise que vous avez occis sauvagement deux de ses bêtes en visite! 
- Mais… mon petit David…
- Tu-tu-tute! Vous pouvez dire adieu à votre projet! »

C’est ainsi que ma réputation dans le milieu de la politique municipale fut à jamais ternie. Si l’un de vous est prêt à faire le grand saut, n’oubliez pas que, dans les chaumières d’un lointain hameau nommé Québec, une bande de démunis prient jour et nuit pour qu’un Sauveur les délivrât de leur cloisonnement urbain. Ces bûcherons n’ont qu’un simple et modeste rêve dans la vie: devenir montréalais. Cela me brise le cœur, rien que d’en parler, et je dois m’arrêter ici, pour aller sécher mes pleurs. 
 
 

Rastaquouère MacO'mmune 
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