Vivre sur un joli voilier, et voguer peinard sur les mers du sud, comme
Jack London, vous pensiez que c’était une sinécure? Détrompez-vous,
citadins! C’est un sacré boulot, et un à temps plein, que
d’être capitaine. Oui-da. Et puis c’est parfois même un feu
roulant de préoccupations et de responsabilités... Lorsque
de sales bestiaux (nous ne parlons pas ici de touristes français)
se mettent, qui plus est, de la partie, merde, c’est un enfer flottant,
ce qui aussi est foncièrement paradoxal. Dans l’éventualité
où une jeune lectrice de Ma Commune Légère (bien roulée,
dégourdie, émancipée, et aimant l’aventure) voudrait
se joindre au capitaine Pablo Escapar pour quelques mois de navigation
de plaisance, dites-vous bien que ce n’est pas toujours exactement comme
sur une carte postale. Escapar en personne nous a fait parvenir une dépêche
stipulant que, oui, les couchers de soleil sont magnifiques, les gens sont
chaleureux (hormis quelques truands locaux), l’air salin de la mer vivifie
les sens, le sexe est extra, surtout au large, à trois, le roulis
aidant (il s’agit de savoir se positionner bon plein, comme disent les
matelots), mais que, tous ces avantages oiseux, on les paie de ses deniers,
en ayant toutes sortes de petites merdes à endurer au quotidien,
dont cet article vous donnera un léger aperçu. Jeunes lectrices
bien roulées et aimant l’aventure, si, après lecture de ce
texte, vous n’êtes pas effarouchées, vous pouvez communiquer
avec le capitaine du Sirocco à l’adresse au bas de la page...
S’il vit toujours, il vous répondra. Sinon, nous, on vous invitera
aux obsèques.
Premier tableau
Les sports fongicides
Il y avait belle lurette que les oreilles
du capitaine Escapar n’allaient plus bien... Il avait eu à consommer
une quantité quasi-industrielle d’antibiotiques en tous genres dont
deux semaines d’amocycline et puis deux autres semaines de cyproflaxine,
en plus des gouttes, solutions otiques à base d’hydrocortisone,
et autres stéroïdes anabolisants ou pas. Il avait même
subi un coûteux et pourtant douloureux lavement au compresseur, puis
payé trois consultations, avec trois médecins différents.
Une oreille du capitaine exsudait une sorte de cire noirâtre, pouah,
quelle horreur, et, malgré tous ces fichus médicaments, croyez-le
ou non, émules hypocrites d’Hippocrate, le meilleur remède
s’avérait être quelque chose de fort simple: vinaigre et alcool.
Cela ne réglait pas le problème, bien entendu (ah! ah!),
mais ça enrayait temporairement la douleur. Le pauvre capitaine
ne savait plus trop quoi faire, excepté de croire qu’il était
devenu une sorte de mutant, comme Wolverine ou l’un de sa bande, mais Wolverine
n’est jamais malade, c’est louche.
Un autre capitaine, un Allemand dénommé
Christian, avait amicalement rebaptisé Pablo Escapar Dark Shmaltz,
puisque Shmaltz en allemand signifie « cérumen » (la
cire ans les oreilles). Vous riez, vous riez, mais ça n’était
pas drôle.
Sur ces entrefaites, le Sirocco
ne demeurait pas ancré à ne rien faire, sur le lac Izabal,
non. Ce majestueux navire effectua enfin une traversée lucrative.
En effet, deux Danoises (des vraies, pas les pâtisseries) en furie
avaient requis d’office les services du capitaine Pablo, parce que, figurez-vous,
leur charter venait d’être annulé. C’est la vie. Dieu seul
sait les tuiles qui peuvent vous atterrir dans le coin de la gueule lorsque
vous mettez le pied à l’extérieur de Copenhague. Alors, donc,
ces dames ne parlaient ni l’anglais, ni le français, ni l’espagnol;
ça promettait. Escapar embaucha un interprète. Quatre jours
de Zapodillas pour quatre cent cinquante dollars américains... Du
vol... Nous irions même jusqu’à dire: de la piraterie. Pas
un souffle de vent. Du moteur tout le temps. Personne ne fut malade heureusement.
Des dauphins, pour égayer le tout. Une baignade, aussi. Un pique-nique.
Poisson frais à la brochette... Le retour fut encore plus calme.
Vingt-et-une interminables heures de moteur. Un peu moins de cent milles
nautiques... Pour un peu plus cher (c’est néanmoins plus que du
bonbon) le capitaine Escapar recommencerait dès demain.
Finalement, un praticien plus leste d’esprit
que ses doctes confrères, après avoir examiné l’oreille
de Pablo, déclara: « Vous êtes victime d’une attaque
en règle des mikos, de petits champignons qui congestionnent sauvagement
vos oreilles; le vinaigre, quelle bonne idée vous avez eue. C’est
un remède efficace. Et peu coûteux... »
Cela n’était pas tombé dans
l’oreille d’un sourd.
Deuxième tableau
Mort au rat!
Ce chapitre-ci aurait pu s’intituler L’Étranger,
voire même L’Intrus, mais, ce faisant, nous aurions induit en grossière
erreur tous les ingénus petits internautes friands de littérature
qui parcourent le cyber-espace en quête d’un site consacré
à l’oeuvre-maîtresse de Camus ou au roman-culte de Faulkner,
ce qui, ici, n’est pas le cas... Alors, nous avons opté pour un
titre moins nébuleux. Vous le pigez, le topo?
Le brave capitaine Escapar récupérait
doucement et combattait activement les mikos de ses oreilles à grands
renforts de vinaigre. Ça marchait. Une nuit, alors qu’il roupillait
le plus paisiblement du monde, il fut éveillé par des bruits,
dans la cuisine. Il se leva, pour aller jeter un coup d’oeil, et... ô
infamie! que vit-il? la silhouette svelte d’un rongeur, qui se défilait
en vitesse. Le lendemain, donc, grand ménage à bord... Le
capitaine découvrit des excréments laissés là
par ce petit filou de pustral saignant, et il fallut aussitôt prendre
des mesures plus ou moins draconiennes. Deux trappes, bien garnies de fromage,
furent installées à bord... La nuit suivante, Pablo retourna
se pieuter, suivi de sa fidèle chienne, qui s’avérait, pourtant,
aussi mauvaise chasseresse qu’un tapis de plancton lunaire (Pablo avait
tenté à maintes et maintes reprises d’éduquer cette
chienne afin de la pousser à la prédation, mais sans aucun
succès, puisqu’elle se nourrit au resto du coin, qu’elle semble
d’ailleurs revendiquer comme son juste territoire de Fronteras).
Au matin, force fut bien de constater que
le fromage avait presque entièrement disparu, qu’il y avait de nouveaux
excréments, et pas l’ombre d’une prise. Nouveau plan: Escapar fit
appeler une boniche, et tous deux passèrent la journée à
frotter, à nettoyer au vinaigre toutes les surfaces du voilier,
de fond en combles, afin d’éradiquer définitivement (à
tout le moins) les mikos infestateurs... Évidemment, au cours de
cette opération, en déplaçant une caisse, un immense
rat noir fut découvert, velu et brillant, qui se tordit en tous
sens avant de filer, dans un lieu accessible seulement à ceux de
son espèce rampante, et sans laisser une seule chance au capitaine
de le tirer au fusil harpon. Après cette stérilisation du
navire en quelque sorte, Escapar tenta vainement de se procurer des chats.
Ces bêtes ont la vie très dure, dans le coin. Un petit nombre
de félins parviennent à survivre, sans plus. Il fallait donc
à Pablo une autre stratégie...
Après une longue expédition,
à travers la sierra de Las Minas, il parvint à se procurer
un produit fabriqué par un chamane vivant très loin, sur
un autre continent. Ce produit se nommait « cumatetrayle »...
et le chamane s’appelait: Bayer. Le capitaine Escapar revint prestement
au Sirocco, et appliqua le produit, tel que prescrit (dansant trois
fois alentour de cette poudre enchantée lors d’une éclipse
totale de la lune, et en mordant très fort ses propres lèvres).
Puis il ferma les lumières à bord, attendit, et alla se coucher,
éreinté.
À peine quelques minutes après
s’être mis au lit, le petit tintamarre familier recommença
de plus belle, indiquant que Rattus Rattus avait trouvé la bouffe,
et la dégustait. Dégoûté, Pablo regardait dormir
sa cocker, qu’il disait être la meilleure chienne de garde... Le
rat, lui, s’empiffra (longuement) du fameux produit pharmaceutique allemand,
termina tout le fromage sur les deux trappes, sans rien déclencher,
encore une fois, puis alla se coucher lui aussi. Tout allait bien. Le lendemain,
crottes de rat. Ce salaud était encore à bord du voilier.
Une autre nuit sembla plus calme à Pablo. Le jour suivant, il retrouva
des crottes, mais beaucoup moins nombreuses, et plus petites. De spéculation
en spéculation Escapar en vint à redouter que le parasite
agonisant, pris de délire, ne gruge tout à coup un tuyau
vital du Sirocco et ne coule le navire. Ou alors, qu’il crève
empoisonné, dans un interstice inaccessible, et se décompose
à bord, puant pour l’éternité. Ou alors qu’il fasse
des petits bébés... Bref, il fallait s’en débarrasser...
L’AK-47 du capitaine était trop destructeur (et ce, surtout à
bord de son propre bateau, en fibre de verre!), or, il se rabattit sur
son fusil harpon, précis seulement à bout portant. D’abord,
il s’agissait de tout sortir, meubles et bagages, des sections pestiférées,
et de les poser sur le quai, vidant méthodiquement le Sirocco
afin d’acculer l’intrus au pied du mur, de le débusquer illico presto
pour le tirer au harpon, le capturer, ou, mieux encore, l’expulser et l’envoyer
en exil vers la Sibérie!
Le plus stupéfiant, dans cette histoire
(à finir), c’est que, d’après la posologie du produit, le
rat meurt, trépasse, décède, rend l’âme, quatre
à six heures après l’ingestion. Huûh?
Au moins, les mikos semblent exterminés.
Un problème à la fois. À bon entendeur, salut!
Pablo Escapar
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